Un tribunal de Paris a jugé le géant pétrolier et gazier TotalEnergies coupable de "pratiques commerciales trompeuses" concernant ses engagements climatiques. Cette décision, qualifiée d'historique par les militants écologistes, pourrait établir un précédent juridique majeur pour la communication environnementale des grandes entreprises.
Les points clés de la décision
- TotalEnergies a été reconnu coupable de "pratiques commerciales trompeuses" pour sa communication sur la neutralité carbone.
- Le tribunal a estimé que l'entreprise trompait les consommateurs en affirmant viser la neutralité carbone d'ici 2050 tout en augmentant sa production de pétrole et de gaz.
- L'entreprise doit retirer plusieurs de ses slogans publicitaires sous un mois après la notification officielle du jugement.
- Des associations environnementales qualifient ce jugement de "première mondiale" contre une grande compagnie pétrolière pour écoblanchiment.
Une décision de justice sans précédent
Le tribunal judiciaire de Paris a rendu son verdict jeudi 23 octobre dans une affaire qui opposait trois organisations non gouvernementales à TotalEnergies. La justice a estimé que la communication de l'entreprise sur ses objectifs climatiques était de nature à induire le public en erreur.
Le cœur du litige portait sur la campagne de l'entreprise affirmant viser la "neutralité carbone d'ici 2050, ensemble avec la société". Les juges ont conclu qu'il existait un décalage significatif entre ce message et la stratégie réelle de l'entreprise, qui continue d'investir massivement dans les énergies fossiles.
Cette affaire civile avait été initiée en mars 2022 par Greenpeace, Les Amis de la Terre et une autre ONG. Elles accusaient l'entreprise d'écoblanchiment, une pratique qui n'est pas spécifiquement définie dans le droit français, les forçant à utiliser le cadre des "pratiques commerciales trompeuses".
Qu'est-ce que l'écoblanchiment ?
L'écoblanchiment, ou "greenwashing", est une stratégie de communication utilisée par une entreprise pour se donner une image de responsabilité écologique trompeuse. L'objectif est de paraître plus "vert" que la réalité de ses activités, souvent pour attirer des consommateurs ou des investisseurs sensibles aux questions environnementales.
Des publicités jugées trompeuses
Le tribunal a ordonné à TotalEnergies de cesser d'utiliser certains de ses slogans publicitaires dans un délai d'un mois. Parmi les affirmations visées figurent des messages largement diffusés depuis 2021.
La société devra notamment retirer des déclarations telles que : "Notre ambition est d'être un acteur majeur de la transition énergétique tout en continuant à répondre aux besoins énergétiques du public." Une autre phrase condamnée est : "Notre ambition est de contribuer à atteindre le net zéro d'ici 2050, ensemble avec la société."
Juliette Renaud, des Amis de la Terre France, l'une des associations plaignantes, a souligné le "grand écart" entre les publicités de l'entreprise, axées sur la neutralité carbone, et "ses activités, qui reposent encore majoritairement sur les énergies fossiles".
En 2021, le groupe a changé son nom de "Total" à "TotalEnergies" pour marquer, selon lui, son virage vers les énergies renouvelables comme l'éolien et le solaire. Les plaignants ont argué que ce changement faisait partie de la stratégie de communication trompeuse.
Le jugement impose également aux filiales de fourniture d'électricité et de gaz de TotalEnergies en France de publier un communiqué relatif à cette décision sur leurs sites internet.
Une victoire "historique" pour les défenseurs de l'environnement
Les associations à l'origine de la plainte ont salué une décision qui fera date. Pour elles, il s'agit d'un signal fort envoyé à l'ensemble du secteur des énergies fossiles.
"C'est la première fois au monde qu'une grande compagnie pétrolière et gazière est condamnée par les tribunaux pour avoir trompé le public en verdissant son image concernant sa contribution à la lutte contre le changement climatique."
Cette analyse est partagée par d'autres observateurs juridiques. L'avocat de ClientEarth, Jonathan White, a qualifié le jugement de "tir de semonce clair" pour les autres majors pétrolières et gazières en Europe et au-delà.
Il a ajouté que prétendre faire partie de la transition tout en soutenant de nouveaux projets d'énergies fossiles "a désormais un prix juridique éprouvé".
Quelles conséquences pour l'industrie ?
Ce jugement pourrait ouvrir la voie à d'autres actions en justice contre des entreprises accusées de communication environnementale trompeuse. Bien que des compagnies aériennes comme KLM et Lufthansa aient déjà été condamnées en Europe pour des motifs similaires, cette décision est la première à viser directement un géant du pétrole pour sa stratégie climatique globale.
Le tribunal a cependant rejeté les plaintes concernant la promotion par TotalEnergies du gaz fossile et des biocarburants comme des énergies propres. Ce point montre que le débat juridique sur la définition exacte de l'énergie "propre" ou "de transition" est loin d'être terminé.
La décision intervient alors que l'Union européenne renforce sa réglementation sur les allégations environnementales des entreprises. Ce précédent judiciaire français pourrait donc influencer la manière dont ces nouvelles règles seront interprétées et appliquées à travers le continent, augmentant la pression sur les entreprises pour qu'elles alignent leurs communications sur leurs actions réelles.





