La région himalayenne du Ladakh, habituellement connue pour sa tranquillité et ses paysages spectaculaires, a été le théâtre de violences meurtrières. Des manifestations réclamant une plus grande autonomie vis-à-vis de l'Inde ont dégénéré, entraînant la mort de quatre civils et faisant au moins 80 blessés, marquant une escalade sans précédent dans ce territoire stratégique.
Les autorités ont réagi en arrêtant une figure de proue du mouvement, Sonam Wangchuk, en coupant les services internet et en déployant des troupes paramilitaires. Cet événement met en lumière des années de frustration croissante au sein de la population locale, qui se sent trahie par les promesses non tenues du gouvernement central.
Points Clés
- Quatre civils ont été tués et au moins 80 personnes blessées lors de manifestations au Ladakh.
- Les manifestants demandent le statut d'État, des quotas d'emploi et des protections spéciales pour préserver leur culture.
- L'activiste et scientifique Sonam Wangchuk a été arrêté, accusé d'incitation à la violence.
- La région est stratégiquement vitale pour l'Inde, partageant des frontières avec la Chine et le Pakistan.
Le Déclenchement des Violences
La tension a atteint son paroxysme le 24 septembre, lorsque des milliers de personnes se sont rassemblées pacifiquement dans un parc public de Leh, la capitale régionale. Elles soutenaient Sonam Wangchuk et d'autres militants qui observaient une grève de la faim depuis deux semaines pour faire valoir leurs revendications.
Selon des témoins, une partie de la foule, principalement des jeunes, s'est détachée du rassemblement principal pour organiser une marche de protestation. C'est à ce moment que les affrontements avec la police ont éclaté. Les circonstances exactes restent floues, les manifestants et les forces de l'ordre offrant des versions contradictoires des faits. Une enquête a été ouverte pour clarifier le déroulement des événements.
Au cours des troubles, un bureau du parti au pouvoir en Inde, le Bharatiya Janata Party (BJP), a été incendié. La police a déclaré avoir ouvert le feu en réponse à la violence, une affirmation que les manifestants contestent. En plus des victimes, de nombreuses arrestations ont eu lieu, et un couvre-feu a été imposé à Leh.
Les Racines d'un Mécontentement Profond
Le mécontentement actuel au Ladakh trouve son origine dans des décisions politiques prises en 2019. À cette époque, le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi a révoqué l'article 370 de la Constitution, qui accordait un statut spécial à l'ancien État du Jammu-et-Cachemire.
Contexte : La Révocation de l'Article 370
En 2019, le gouvernement indien a abrogé l'article 370, mettant fin à l'autonomie constitutionnelle du Jammu-et-Cachemire. La région a été scindée en deux territoires de l'Union administrés directement par New Delhi : le Jammu-et-Cachemire et le Ladakh. Cette décision a supprimé les protections qui limitaient l'achat de terres par des non-résidents et réservaient certains emplois à la population locale.
Dans un premier temps, de nombreux habitants du Ladakh, majoritairement bouddhistes, ont accueilli favorablement cette séparation du Cachemire à majorité musulmane. Ils espéraient que cela leur accorderait une plus grande autonomie pour préserver leur culture et stimulerait le développement économique.
Cependant, cette espérance a rapidement laissé place à la désillusion. Les habitants estiment que les promesses de protection de leur identité, de leurs terres et de leurs emplois n'ont pas été tenues. "Nous nous sommes sentis trahis", a déclaré Diskit Gangjor, secrétaire de l'aile féminine de l'Association Bouddhiste du Ladakh (LBA).
Des Revendications Unifiées
La perte du statut spécial a eu des conséquences concrètes. L'autonomie des conseils de district, créés dans les années 1990 pour donner plus de poids aux décisions locales, a été réduite. De plus, la possibilité pour les non-résidents d'acquérir des terres a fait naître la crainte d'un changement démographique et d'une exploitation des ressources par des intérêts extérieurs.
Face à cette situation, les communautés bouddhistes de Leh et musulmanes de Kargil, historiquement divisées sur leurs aspirations politiques, ont uni leurs forces. Leurs principales revendications sont :
- L'obtention du statut d'État à part entière pour le Ladakh.
- L'inscription de la région sous le Sixième Annexe de la Constitution, qui offre une protection spéciale aux zones tribales.
- La création de deux sièges parlementaires distincts, un pour le district de Leh et un pour celui de Kargil.
Malgré plusieurs cycles de négociations avec le gouvernement fédéral, aucune avancée significative n'a été réalisée, alimentant une frustration croissante, notamment chez les jeunes confrontés à un chômage élevé.
Un Enjeu Stratégique et Sécuritaire
La stabilité du Ladakh est une préoccupation majeure pour la sécurité nationale de l'Inde. La région partage des frontières contestées avec deux puissances nucléaires : la Chine à l'est et le Pakistan à l'ouest. Elle a été le théâtre d'affrontements militaires par le passé, notamment un conflit avec le Pakistan en 1999 à Kargil et des heurts frontaliers meurtriers avec la Chine en 2020.
Le Ladakh abrite une population d'environ 300 000 personnes, composée presque à parts égales de bouddhistes et de musulmans. Le district de Leh est principalement bouddhiste, tandis que celui de Kargil est majoritairement musulman chiite.
Des experts militaires avertissent que la situation actuelle pourrait avoir de graves conséquences. Le lieutenant-général Deependra Singh Hooda, ancien commandant de l'armée indienne dans la région, souligne l'importance de maintenir la stabilité.
"Le Ladakh est une région très sensible. Nous devons nous assurer que cette zone reste stable. Les Ladakhis ont traditionnellement soutenu l'armée, mais les discours les qualifiant d'anti-nationaux pourraient changer la donne."
L'escalade de la violence et la méfiance croissante envers le gouvernement central risquent d'aliéner une population dont la coopération est cruciale pour la défense du territoire.
Un Avenir Incertain
Depuis l'arrestation de Sonam Wangchuk, les principales organisations de la société civile du Ladakh ont suspendu le dialogue avec le gouvernement. Bien que leur leader le plus médiatique soit détenu, les militants affirment vouloir poursuivre leur lutte de manière pacifique.
"Ce que nous faisons n'est pas anti-national. Ce sont nos demandes légitimes et nous atteindrons notre objectif pacifiquement", a affirmé un manifestant, Gelek Phunchok.
Pour l'heure, la situation reste tendue à Leh. Des centaines de soldats gardent le site principal des manifestations, et un climat de peur s'est installé. De nombreux militants sont entrés dans la clandestinité par crainte de représailles. La tranquillité légendaire de la région a été brisée, et le chemin vers l'apaisement semble encore long et incertain.





