Le Grand Nord canadien, longtemps négligé par Ottawa, occupe désormais une place centrale dans la vision nationale de souveraineté et de sécurité du Canada. Cette région riche en ressources naturelles attire l'attention du gouvernement canadien, mais aussi celle des États-Unis, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes.
Le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, R.J. Simpson, souligne ce changement d'approche, motivé par des ambitions économiques et des impératifs militaires. Les investissements dans les minéraux critiques et les infrastructures de défense sont au cœur de cette nouvelle dynamique, redéfinissant le rôle de l'Arctique dans la sécurité continentale.
Points Clés
- L'Arctique canadien est devenu une priorité nationale pour Ottawa.
- Les États-Unis montrent un intérêt marqué pour la sécurité et les ressources de la région.
- Le Canada investit dans les minéraux critiques et les infrastructures militaires.
- Un corridor économique et de sécurité est envisagé pour lier les communautés et renforcer la défense.
- La modernisation du NORAD et le développement d'un bouclier antimissile continental sont en discussion.
Un Changement de Priorité pour l'Arctique
Pendant des décennies, le Grand Nord canadien semblait oublié par le gouvernement fédéral. Le premier ministre des Territoires du Nord-Ouest, R.J. Simpson, l'a bien exprimé en parlant d'une situation où il était « comme essayer de nager à contre-courant dans un lit de rivière asséché » pour attirer l'attention d'Ottawa sur le développement du Nord.
Cependant, ce constat est en train de changer. Le Canada reconnaît l'importance stratégique de cette vaste région, qui représente à elle seule la taille de la Californie et du Texas combinés, mais avec une population d'environ 42 000 habitants seulement. Cette nouvelle approche est le fruit d'une combinaison de facteurs économiques et de nécessités militaires.
Le Saviez-vous ?
Les Territoires du Nord-Ouest, le Yukon et le Nunavut représentent une part significative du territoire canadien, mais abritent une très faible densité de population, rendant le développement des infrastructures particulièrement complexe et coûteux.
L'Intérêt Américain et les Minéraux Critiques
L'intérêt des États-Unis pour l'Arctique canadien n'est pas nouveau. Le département de la Défense américain a déjà investi dans des projets miniers dans les Territoires du Nord-Ouest. En 2024, le Pentagone a alloué 8,74 millions de dollars canadiens (soit environ 6,23 millions de dollars américains) au projet NICO, une mine de cobalt, d'or, de bismuth et de cuivre.
Cet investissement s'inscrit dans une stratégie plus large des États-Unis visant à sécuriser l'approvisionnement en minéraux critiques, essentiels pour l'équipement militaire et les technologies modernes. Ottawa, de son côté, a contribué à ce même projet NICO à hauteur de 7,5 milliards de dollars canadiens (environ 5,34 milliards de dollars américains).
« Il y avait beaucoup d'intérêt d'autres endroits. Même le Département de la Défense américain a fait des investissements dans quelques projets miniers dans les Territoires du Nord-Ouest, alors que nous n'en avions pas fait. Nous n'arrivions pas à susciter l'intérêt du Canada pour faire avancer les choses dans le Nord. »
— R.J. Simpson, Premier ministre des Territoires du Nord-Ouest
Le Plan de « Construction Nationale » du Premier Ministre Carney
Le premier ministre Mark Carney a lancé une nouvelle politique de « construction nationale » qui met l'accent sur des projets majeurs, y compris dans l'Arctique. Cette initiative vise à rendre l'économie canadienne plus résiliente face aux pressions économiques, notamment celles exercées par l'administration Trump.
Un des projets phares de cette politique est le « Corridor économique et de sécurité de l'Arctique ». Ce réseau routier et portuaire proposé a pour but de connecter les communautés, de stimuler le développement économique et de soutenir les Forces armées canadiennes dans le Nord. Cela inclut le développement des minéraux critiques.
Contexte Géopolitique
La fonte des glaces polaires ouvre de nouvelles routes maritimes, rendant l'Arctique plus accessible et augmentant l'intérêt de puissances comme la Russie et la Chine pour ses ressources et sa position stratégique. Cette situation renforce la nécessité pour le Canada et les États-Unis de sécuriser cette frontière nordique.
Investissements pour la Souveraineté et la Sécurité
Les nouveaux investissements dans l'Arctique aideront le Canada à atteindre son objectif de dépenses de l'OTAN, qui est de 5 % du PIB d'ici 2035, incluant une composante de 1,5 % pour les dépenses industrielles liées à la défense. Cela devrait satisfaire l'administration Trump, qui partage les préoccupations du Canada concernant les incursions russes et chinoises dans la région.
Le premier ministre Simpson insiste sur l'importance des investissements dans les infrastructures « dures » qui bénéficieront à la population civile. Il souhaite que le ministère de la Défense du Canada investisse dans des ports, des autoroutes et des infrastructures militaires qui auront un double usage, civil et militaire.
- Développement économique local : Les projets d'infrastructures peuvent créer des emplois et améliorer la qualité de vie dans les communautés isolées.
- Accès aux ressources : Faciliter l'extraction et le transport des minéraux critiques, du pétrole et du gaz.
- Renforcement de la souveraineté : Une présence accrue et des infrastructures robustes affirment la souveraineté canadienne dans la région.
La Défense Continentale au Premier Plan
La collaboration entre le Canada et les États-Unis sur la défense continentale est plus que jamais d'actualité. Le président Donald Trump a évoqué un travail « très étroit » avec le Canada sur son bouclier de défense antimissile « Golden Dome ». Le Canada jouerait un rôle essentiel, nécessitant l'accès à son espace aérien et à ses radars pour suivre les missiles entrants.
Le ministre de la Défense, David McGuinty, est en discussions actives avec le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, concernant la participation du Canada à un bouclier continental. Ces discussions marquent un tournant, près de vingt ans après le retrait du Canada du programme américain de défense antimissile balistique en 2005.
Modernisation du NORAD
La conversation actuelle inclut l'expansion du rôle du NORAD, le commandement de la défense aérospatiale conjoint du Canada et des États-Unis. Des améliorations des radars transhorizon canadiens sont prévues pour détecter les menaces de missiles à travers son espace aérien.
Une Approche Intégrée
Le ministre McGuinty collabore avec le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, Tim Hodgson, pour développer les minéraux critiques et les réserves de pétrole de l'Arctique. Leur approche est « très intégrée », ne se limitant pas à la seule défense.
Ils évaluent des pistes d'atterrissage à double usage, des installations polyvalentes et des ports en eaux profondes. Les emplacements opérationnels avancés sous l'égide du NORAD sont également en cours d'évaluation. Cette vision globale vise à maximiser les avantages des investissements pour la sécurité et le développement économique du Nord canadien.
« La sécurité, c'est l'infrastructure matérielle — être capable d'abattre des missiles ou tout ce qu'ils veulent faire. La souveraineté, c'est y vivre et montrer que le Canada est là, que les gens y vivent. Ce n'est pas un no man's land. »
— R.J. Simpson, Premier ministre des Territoires du Nord-Ouest
Le Grand Nord canadien est donc au seuil d'une transformation majeure, avec des implications profondes pour sa population, son économie et sa position stratégique sur la scène mondiale. Les années de négligence semblent révolues, faisant place à une ère d'investissements et de collaborations renouvelés.





