Une nouvelle étude menée par 53 scientifiques internationaux révèle que les zones forestières préservées de l'Amazonie subissent un réchauffement climatique accéléré. Les températures extrêmes y augmentent deux fois plus vite que la moyenne mondiale, menaçant la biodiversité, les écosystèmes et les populations locales.
Points Clés
- Entre 1981 et 2023, les températures extrêmes en Amazonie ont augmenté de 0,5°C par décennie, soit le double du rythme mondial.
- La région nord-centrale de l'Amazonie, largement préservée, a enregistré une hausse de plus de 3,3°C des températures maximales extrêmes.
- Ce réchauffement provoque des sécheresses sévères, une augmentation des incendies de forêt et une mortalité massive d'arbres et d'animaux.
- L'étude souligne la responsabilité des pays fortement émetteurs de gaz à effet de serre dans ces changements rapides.
Un Silence Inquiétant dans la Forêt
En septembre 2023, le biologiste Cássio Alencar Nunes a vécu une expérience troublante dans le parc national de Jaú, au Brésil. Parti enregistrer les chants d'oiseaux à l'aube, il a été accueilli par un silence de mort. Aucun oiseau, aucun insecte ne se faisait entendre.
La raison de ce calme anormal était une chaleur étouffante. Le thermomètre affichait plus de 30°C, bien au-dessus des 24-25°C habituels à cette heure. « Nous étions alarmés », a déclaré Nunes. « Les animaux devaient être extrêmement stressés par cette chaleur et cette sécheresse. »
Contexte de Sécheresse Extrême
L'expérience de Nunes s'est déroulée alors que l'Amazonie subissait sa deuxième année consécutive de sécheresse extrême. Cet événement, aggravé par le changement climatique, a entraîné un nombre record d'incendies de forêt et a mis en évidence la vulnérabilité croissante de cet écosystème vital.
Ce silence matinal, typique des heures les plus chaudes de midi lorsque les animaux se cachent pour économiser leur énergie, est devenu un symptôme visible des changements profonds qui affectent la plus grande forêt tropicale du monde.
Des Températures Extrêmes en Forte Hausse
Une étude majeure, menée par un consortium de 53 scientifiques et disponible sur la plateforme EarthArXiv, confirme que même les zones les plus intactes de l'Amazonie sont gravement touchées. L'analyse des données climatiques de 1981 à 2023 révèle une tendance alarmante.
Alors que la température moyenne en Amazonie a augmenté au même rythme que la moyenne mondiale (0,2°C par décennie), les températures extrêmes ont grimpé beaucoup plus vite, à un rythme de 0,5°C par décennie. Cela représente une augmentation totale de 2°C sur 43 ans pour les jours les plus chauds.
Le Nord-Centre, une Zone Critique
L'étude a divisé le bassin amazonien en près de 58 000 cellules pour une analyse détaillée. Les résultats montrent que le réchauffement n'est pas uniforme. La région nord-centrale, qui abrite de vastes zones protégées et des territoires indigènes comme ceux des peuples Yanomami et Waimiri-Atroari, est la plus touchée. Dans cette zone, les températures extrêmes ont augmenté de près de 0,8°C par décennie, soit une hausse totale de plus de 3,3°C en 43 ans.
Cette découverte est particulièrement préoccupante car cette région était considérée comme un refuge potentiel pour les espèces fuyant le réchauffement dans d'autres parties de la forêt.
« Le travail montre que la zone sud de l'Amazonie n'est pas la seule dont nous devons nous préoccuper. La partie nord de la forêt est également fragile. Elle change très rapidement et pourrait ne pas être adaptée à ce niveau de chaleur et de sécheresse. »
Impacts sur la Nature et les Hommes
Les conséquences de ce réchauffement rapide sont déjà visibles et dévastatrices. Les périodes chaudes et sèches exceptionnelles entraînent une mortalité d'arbres à grande échelle et des décès localisés d'animaux. En 2023, la première mortalité massive de mammifères terrestres a été observée dans cette région du nord-centre.
La Vie des Communautés Bouleversée
Pour les populations indigènes et traditionnelles, ces changements climatiques sont une menace directe à leur mode de vie. Eduardo Elisio de Souza, un résident du parc national de Jaú, constate les effets au quotidien.
« Nous ne pouvons plus prédire le temps », explique-t-il. La sécheresse extrême de 2023 a fait apparaître une cascade locale un mois plus tôt que d'habitude. Il se plaint également que les noyers du Brésil produisent moins et que les poissons meurent, affectant à la fois la nourriture et les revenus.
Ces bouleversements compromettent également les stratégies de développement durable basées sur la bioéconomie, comme la récolte de l'açaí ou de la noix du Brésil, qui dépendent d'un écosystème sain.
Le Fléau des Incendies de Forêt
La hausse des températures et la sécheresse rendent la forêt tropicale, normalement humide, dangereusement inflammable. Les deux dernières années ont été marquées par des incendies d'une ampleur sans précédent.
- En 2024, l'Amazonie a battu un record de surface brûlée depuis 1985, avec 15,6 millions d'hectares partis en fumée.
- Pour la première fois, la majorité de la zone brûlée (43 %) était constituée de végétation sur pied, et non de pâturages ou de zones récemment déboisées.
- Ce phénomène est d'autant plus alarmant que la déforestation a diminué depuis 2023, ce qui aurait dû réduire le nombre d'incendies.
Érika Berenguer, chercheuse à l'Université d'Oxford et spécialiste du comportement des feux, a été témoin de feux de cime en 2023, un événement rare et terrifiant en Amazonie. « Le feu est le problème actuel de l'Amazonie », affirme-t-elle.
Un Appel à une Action Globale et Locale
L'étude établit un lien direct entre le réchauffement de l'Amazonie et les émissions mondiales de gaz à effet de serre. « Les pays les plus émetteurs portent une lourde responsabilité dans l'évolution rapide de la condition socio-écologique de l'Amazonie », écrivent les auteurs.
Ils appellent à une réduction rapide des émissions mondiales et à une contribution financière des pays riches pour aider l'Amazonie à s'adapter, via des mécanismes comme le fonds pour les pertes et dommages.
Au niveau local, les experts soulignent l'urgence de repenser les politiques publiques. La lutte contre la déforestation ne suffit plus. Il est crucial de mettre en place des stratégies de prévention et de gestion intégrée des incendies, et de soutenir les communautés locales pour renforcer leur résilience face à un climat de plus en plus imprévisible.
« Il ne suffit plus de combattre uniquement la déforestation. Les politiques publiques doivent changer parce que le monde a changé », conclut Érika Berenguer, soulignant que l'avenir de l'Amazonie dépend d'actions décisives, tant à l'intérieur de ses frontières qu'à l'échelle planétaire.





