La réduction des émissions d'aérosols au cours des dernières décennies a entraîné une diminution de la réflectivité des nuages marins dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord-Est. Cette baisse de réflectivité contribue à une augmentation de l'absorption du rayonnement solaire par les océans, accélérant ainsi le réchauffement des températures de surface de la mer dans ces régions. Une nouvelle étude met en lumière l'ampleur de ce phénomène et ses implications pour les modèles climatiques.
Points Clés
- La réflectivité des nuages marins a diminué de 2,8% par décennie entre 2003 et 2022 dans l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord-Est.
- Cette réduction est principalement due à la baisse des émissions de dioxyde de soufre et d'autres précurseurs d'aérosols, représentant 69% de la diminution.
- Les modèles climatiques actuels sous-estiment souvent l'ampleur de cette réduction de réflectivité et le réchauffement associé.
- Les effets Twomey et Albrecht sont les principaux mécanismes expliquant cette diminution de réflectivité.
- La poursuite des réductions d'émissions d'aérosols pourrait accentuer le réchauffement à court terme dans ces régions.
Un Réchauffement Océanique Accéléré par des Nuages Moins Réflectifs
Les températures mondiales ont atteint des niveaux records en 2023 et 2024, une tendance qui pourrait être liée à une diminution pluridécennale de la proportion de rayonnement solaire renvoyée dans l'espace par les nuages de basse altitude. Cette tendance, qui s'est accélérée récemment, permet à une quantité croissante de rayonnement d'atteindre les océans.
Dans l'Atlantique Nord, les températures de surface de la mer (TSM) augmentent plus rapidement que partout ailleurs. De même, le Pacifique Nord-Est a connu des vagues de chaleur marines persistantes depuis 2014, causant des ravages sur les écosystèmes et les pêcheries. Ces hausses de température ne s'expliquent pas entièrement par les variations climatiques naturelles, ce qui pousse les scientifiques à chercher d'autres facteurs.
Fait Marquant
Entre 2003 et 2022, la réflectivité des nuages marins dans les régions combinées de l'Atlantique Nord et du Pacifique Nord-Est a diminué en moyenne de 2,8 ± 1,2% par décennie. Cela représente une contribution au bilan énergétique global de la Terre de 0,15 ± 0,06 W m⁻² par décennie, ces régions marines couvrant 14% de la surface terrestre.
Le Rôle Crucial des Aérosols
Les émissions d'aérosols et de leurs précurseurs ont diminué à l'échelle mondiale depuis plus d'une décennie. Cette baisse est principalement due à des normes plus strictes concernant le dioxyde de soufre (SO₂) en Chine et dans d'autres pays de l'hémisphère Nord. Les aérosols agissent comme des noyaux de condensation nuageuse, essentiels à la formation des gouttelettes nuageuses.
Une réduction des aérosols entraîne une diminution de la concentration des gouttelettes nuageuses, ce qui peut réduire la réflectivité des nuages. L'impact climatique de ces changements reste incertain, d'autant plus que la composition chimique des aérosols et leurs effets varient selon la source des émissions.
« La réduction de la pollution par les aérosols, bien que bénéfique pour la santé publique, a des conséquences inattendues sur le climat, notamment en diminuant la capacité des nuages à renvoyer le rayonnement solaire. »
Les Modèles Climatiques Face à une Réalité Complexe
Les simulations réalisées avec la plupart des modèles du système terrestre (ESM) analysés sous le projet CMIP6 (Coupled Model Intercomparison Project Phase 6) n'ont pas réussi à reproduire l'ampleur totale des changements observés. La diminution simulée de la réflectivité des nuages et le réchauffement de la surface de la mer dans ces régions sont significativement plus faibles que les observations réelles.
Contexte des Modèles
Les modèles CMIP6 sont des outils essentiels pour comprendre et projeter le changement climatique. Cependant, leurs représentations des interactions aérosols-nuages comportent des biais et des incertitudes importantes, limitant leur capacité à prévoir avec précision les changements à court terme des températures de surface de la mer.
Par exemple, les observations satellitaires montrent une augmentation de l'effet radiatif des nuages (CRE) dans 80% des régions combinées de l'Atlantique Nord et du Pacifique Nord-Est. Les modèles CMIP6, en moyenne, n'ont simulé cette augmentation que dans 64% de ces régions. De plus, seulement 21% des régions modélisées ont dépassé un CRE de 2 W m⁻² par décennie, contre 34% observé.
Un Modèle Amélioré pour une Meilleure Compréhension
Une nouvelle version du modèle atmosphérique canadien (CanAM5.1-PAM), intégrant des capacités améliorées pour les interactions aérosols-nuages, a permis de mieux reproduire l'étendue spatiale et l'ampleur de la diminution observée de la réflectivité des nuages. Ce modèle avancé inclut une représentation numérique de la distribution granulométrique des aérosols et de la formation des gouttelettes nuageuses.
Les simulations avec CanAM5.1-PAM montrent que les réductions de dioxyde de soufre et d'autres précurseurs d'aérosols sont responsables de 69% (avec une fourchette de 55-85%) de la diminution de la réflectivité des nuages, grâce aux interactions aérosols-nuages. Cela est cohérent avec les tendances observées des aérosols et des nuages.
Deux Effets Clés Expliquent la Baisse de Réflectivité
La science identifie deux processus majeurs par lesquels la diminution des aérosols affecte la réflectivité des nuages : l'effet Twomey et l'effet Albrecht.
- L'effet Twomey : Une diminution des émissions d'aérosols entraîne une réduction du nombre de gouttelettes nuageuses. Si la teneur en eau liquide des nuages reste constante, les gouttelettes restantes deviennent plus grandes. Des gouttelettes plus grandes dispersent moins efficacement la lumière solaire, réduisant ainsi l'albédo du nuage et sa réflectivité.
- L'effet Albrecht : Si le nuage produit des précipitations, sa teneur en eau liquide peut diminuer lorsque les concentrations d'aérosols baissent. Des gouttelettes plus grandes se coalescent plus rapidement pour former des gouttes de pluie, ce qui augmente l'efficacité des précipitations. En conséquence, la durée de vie du nuage est réduite, diminuant encore sa réflectivité au-delà de l'effet Twomey.
Les simulations de CanAM5.1-PAM ont montré que l'effet Twomey seul expliquait une augmentation du CRE dans 73% des régions étudiées. L'ajout de l'effet Albrecht a porté ce chiffre à 82%, ce qui est en très bon accord avec les observations.
Statistique Clé
L'effet combiné Twomey et Albrecht est responsable de 69% de l'augmentation totale simulée de l'effet radiatif des nuages (CRE), tandis que les changements de température de surface de la mer (TSM) contribuent à hauteur de 31%.
Implications pour les Prévisions Climatiques Futures
Cette étude confirme l'idée que les aérosols atmosphériques issus des combustibles fossiles et de la biomasse ont historiquement masqué une partie de l'effet de réchauffement dû aux gaz à effet de serre. Après le pic des émissions de dioxyde de soufre au début des années 2000, le masquage par les aérosols a diminué, exposant davantage la planète au réchauffement induit par les gaz à effet de serre.
Les scénarios futurs de politiques d'air pur prévoient une diminution continue des concentrations d'aérosols et du nombre de gouttelettes nuageuses au cours des prochaines décennies. Compte tenu de la nature non linéaire des interactions aérosols-nuages, même des réductions mineures supplémentaires du nombre de gouttelettes pourraient entraîner une diminution notable de la réflectivité des nuages, à mesure que l'air devient plus propre.
Cela suggère que la poursuite des réductions d'émissions pourrait jouer un rôle significatif dans l'évolution des tendances climatiques à court terme dans ces régions, s'ajoutant au réchauffement déjà produit par les réductions d'émissions d'aérosols. Une meilleure compréhension de ces interactions est essentielle pour affiner les décisions en matière d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.
Un Besion Urgent d'Améliorer les Modèles
L'étude souligne la nécessité pour les modèles climatiques mondiaux d'intégrer plus précisément les interactions aérosols-nuages. Beaucoup de ces modèles sous-estiment les réductions observées de la réflectivité des nuages, ce qui limite leur capacité à évaluer avec précision les changements à court terme des températures de surface de la mer. Une compréhension approfondie des changements récents dans les aérosols et les nuages, ainsi que des capacités de modélisation pour les simuler, est indispensable pour éclairer les politiques climatiques.
La concentration de CO₂ à l'observatoire de Mauna Loa a augmenté de 22,7 ppm par décennie entre 2003 et 2022, ce qui correspond à une augmentation de l'effet de forçage radiatif du CO₂ de 0,31 W m⁻² par décennie. En comparaison, l'effet radiatif des nuages dans les régions combinées de l'Atlantique Nord et du Pacifique Nord-Est a augmenté de 1,04 ± 0,45 W m⁻² par décennie sur la même période. Cela indique un impact de réchauffement disproportionné.
Les changements récents dans la réflectivité des nuages sont une conséquence involontaire des efforts visant à améliorer la qualité de l'air et à réduire les risques pour la santé. Il est crucial d'intégrer ces découvertes dans les projections climatiques pour mieux anticiper l'avenir de notre planète.





