Une nouvelle étude révèle que l'Océan Austral ne se réchauffe pas de manière uniforme. Depuis 60 ans, les secteurs Atlantique et Indien de cet océan crucial pour le climat mondial ont accumulé de la chaleur 40 % plus rapidement que le secteur Pacifique. Les scientifiques attribuent cette différence significative aux changements dans les vents, un mécanisme qui pourrait s'intensifier au cours du 21e siècle.
Cette asymétrie dans l'absorption de chaleur a des implications majeures pour la fonte des glaces, les écosystèmes marins et le climat de la planète. L'étude, publiée dans Nature Communications, met en lumière le rôle prédominant de la redistribution de la chaleur par les courants océaniques, pilotée par les vents, plutôt que par le réchauffement direct de la surface de l'océan.
Points Clés
- L'Océan Austral a absorbé environ 60 % de la chaleur océanique mondiale au cours des dernières décennies.
- Les secteurs Atlantique et Indien se sont réchauffés 40 % plus vite que le secteur Pacifique depuis 1960.
- Ce contraste est principalement dû à une intensification et un déplacement des vents d'ouest, plus marqués dans les secteurs Atlantique et Indien.
- Les modèles climatiques prévoient que cette différence de réchauffement persistera et s'amplifiera d'ici la fin du siècle.
Un contraste de réchauffement entre les bassins océaniques
L'Océan Austral est un acteur central dans la régulation du climat terrestre. Il a absorbé une part considérable de l'excès de chaleur généré par les activités humaines. Les scientifiques savaient déjà que ce réchauffement n'était pas uniforme du nord au sud, mais une nouvelle analyse révèle une asymétrie encore plus frappante d'est en ouest.
En analysant des données océanographiques couvrant les six dernières décennies (1960-2020), les chercheurs ont identifié un contraste inter-bassins prononcé. Le réchauffement dans la couche supérieure de l'océan (0-700 mètres) a été beaucoup plus rapide dans les secteurs de l'Atlantique et de l'océan Indien que dans le secteur du Pacifique.
Chiffres du réchauffement
Entre 1960 et 2020, le secteur Atlantique-Indien s'est réchauffé à un rythme de 0,07 K par décennie, contre 0,05 K par décennie pour le secteur Pacifique. Cela représente une différence de 40,0 ± 5,7 %.
Cette tendance est visible non seulement dans les observations, mais elle est également reproduite par les simulations de modèles climatiques, comme le Community Earth System Model version-1 (CESM1-LE). Cette convergence entre observations et modèles suggère que le phénomène est une réponse robuste au changement climatique anthropique, et non le fruit d'une simple variabilité naturelle.
Une chaleur qui plonge plus profondément
La différence ne se limite pas à la vitesse de réchauffement. La structure verticale de l'accumulation de chaleur varie également. Dans les secteurs Atlantique et Indien, les tendances au réchauffement s'étendent profondément, jusqu'à environ 1000 mètres sous la surface. En revanche, dans le secteur Pacifique, le réchauffement est principalement confiné aux 300 premiers mètres.
Cette pénétration profonde de la chaleur dans les secteurs Atlantique et Indien a des conséquences importantes, notamment sur la circulation océanique globale et la stabilité des plates-formes de glace de l'Antarctique situées à proximité.
Le rôle moteur des vents d'ouest
Pour comprendre l'origine de ce réchauffement asymétrique, les chercheurs ont examiné deux mécanismes principaux : l'absorption de chaleur à la surface de l'océan (flux de chaleur) et la redistribution de la chaleur par les courants (transport océanique).
Deux mécanismes pour le réchauffement océanique
L'absorption de chaleur : L'océan gagne de la chaleur directement de l'atmosphère à sa surface. Ce processus est influencé par la température de l'air et le rayonnement solaire.
La redistribution de chaleur : Les courants océaniques, principalement entraînés par les vents, déplacent la chaleur horizontalement et verticalement, accumulant de la chaleur dans certaines régions et en enlevant dans d'autres.
Les analyses ont montré que les flux de chaleur de surface ne pouvaient pas expliquer le contraste observé. En fait, les données des réanalyses météorologiques comme ERA5 indiquent que le secteur Pacifique a reçu en moyenne un chauffage de surface plus important que le secteur Atlantique-Indien. Cela contredit l'idée que le réchauffement plus rapide de ce dernier serait dû à une plus grande absorption de chaleur atmosphérique.
Une intensification inégale des vents
L'explication réside plutôt dans les changements des vents d'ouest qui soufflent au-dessus de l'Océan Austral. Sous l'effet combiné de l'appauvrissement de la couche d'ozone et de l'augmentation des gaz à effet de serre, ces vents se sont intensifiés et déplacés vers le pôle Sud depuis les années 1960.
Cependant, cette modification n'a pas été uniforme sur tout le globe. L'étude montre que l'intensification et la migration vers le sud des vents d'ouest ont été systématiquement plus prononcées dans les secteurs Atlantique et Indien.
"Nos résultats suggèrent que ce contraste à l'échelle des bassins provient d'altérations dans la redistribution de la chaleur entraînée par le vent plutôt que du chauffage de surface", expliquent les auteurs de l'étude.
Des vents plus forts dans ces secteurs entraînent un transport d'eau de surface plus important vers le nord (via les courants d'Ekman). Cette eau, réchauffée dans les régions plus proches de l'Antarctique, converge ensuite dans une bande située entre 35°S et 55°S, où elle plonge en profondeur. Ce processus de convergence et de subduction de chaleur est plus efficace dans les secteurs Atlantique et Indien, expliquant ainsi l'accumulation de chaleur plus importante.
Simulations et projections pour le 21e siècle
Pour confirmer le rôle dominant des vents, les scientifiques ont utilisé des modèles océaniques autonomes. En réalisant des expériences de sensibilité, ils ont pu isoler les effets des changements de vents de ceux des flux de chaleur.
Les résultats sont clairs :
- Une simulation ne prenant en compte que les changements de flux de chaleur (HTFL) produit un réchauffement quasi uniforme, sans le contraste observé.
- Une simulation ne considérant que les changements de vent (WND) reproduit avec succès l'accumulation de chaleur accrue dans le secteur Atlantique-Indien, confirmant son rôle moteur.
Ces expériences valident l'hypothèse selon laquelle la redistribution de la chaleur par les courants modifiés par le vent est le principal responsable de l'asymétrie du réchauffement de l'Océan Austral.
Un futur encore plus contrasté
Que nous réserve l'avenir ? Les projections des modèles climatiques ne sont pas rassurantes. Selon les simulations du projet CMIP6, le contraste de réchauffement entre les bassins devrait non seulement persister, mais aussi s'amplifier au cours du 21e siècle, en particulier dans les scénarios d'émissions élevées (SSP5-8.5).
Projections pour 2100 (scénario SSP5-8.5)
- Réchauffement du secteur Atlantique-Indien : +2,56 ± 0,76°C (0-700 m)
- Réchauffement du secteur Pacifique : +1,72 ± 0,65°C (0-700 m)
Cette amplification du contraste n'est atténuée que dans le scénario de faibles émissions (SSP1-2.6), où le réchauffement global de l'océan se stabilise après 2070.
Cette découverte a des implications cruciales. Un réchauffement plus rapide et plus profond dans les secteurs Atlantique et Indien pourrait accélérer la fonte des plates-formes glaciaires de l'Antarctique occidental, affecter les écosystèmes marins uniques comme les populations de krill, et modifier les schémas climatiques à l'échelle mondiale. Comprendre cette asymétrie est donc essentiel pour affiner les prévisions climatiques régionales et mondiales.





