Une nouvelle étude publiée dans Nature Communications révèle qu'une meilleure ventilation des eaux du Pacifique Nord pendant les périodes glaciaires a pu réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) de l'Océan Austral. Cette découverte suggère un mécanisme interhémisphérique qui aurait joué un rôle crucial dans les cycles glaciaires-interglaciaires du CO2 atmosphérique, en modifiant la composition des eaux profondes avant qu'elles n'atteignent la surface de l'Océan Austral.
Traditionnellement, les théories sur la réduction du CO2 glaciaire se sont concentrées sur des processus physiques locaux, comme une diminution des remontées d'eau ou une stratification accrue. Cependant, cette recherche met en lumière l'importance de la composition chimique des eaux elles-mêmes, en particulier celles provenant du Pacifique Nord, une région éloignée mais connectée.
Points Clés
- Une ventilation accrue du Pacifique Nord glaciaire a réduit la charge en carbone et en nutriments des eaux profondes.
- Ces eaux appauvries ont ensuite atteint l'Océan Austral, diminuant son potentiel d'émissions de CO2.
- Ce mécanisme interhémisphérique offre une explication complémentaire aux baisses de CO2 atmosphérique pendant les périodes glaciaires.
- Les modèles climatiques et les données paléoproxies confirment cette connexion.
L'Océan Austral, un Carrefour Biogéochimique Crucial
L'Océan Austral est un élément central pour le cycle biogéochimique global. Il relie les différents bassins océaniques et les couches profondes et superficielles de l'océan. La biogéochimie de ses eaux de surface soutient des écosystèmes locaux dynamiques, influence la distribution mondiale des nutriments et régule les échanges de carbone entre l'océan et l'atmosphère.
En période interglaciaire, comme aujourd'hui, les remontées d'eau (upwelling) entraînées par le vent apportent un excès de nutriments majeurs aux eaux de surface de l'Océan Austral. La production biologique, souvent limitée par la lumière et le fer, ne suffit pas à capter tout le carbone remontant, ce qui entraîne un dégazage de CO2 de l'océan profond vers l'atmosphère. L'Océan Austral est alors considéré comme une « fuite » de CO2 vers l'atmosphère.
Fait Intéressant
En période préindustrielle, l'Océan Austral était une source nette de CO2 naturel. Aujourd'hui, il absorbe une grande partie du CO2 anthropique.
Réduire la Fuite de CO2 Glaciaire
Améliorer la capacité de la biologie à utiliser le carbone et les nutriments entrants aurait pu freiner cette fuite de CO2. C'est une hypothèse clé dans de nombreuses théories expliquant la baisse du CO2 atmosphérique pendant les périodes glaciaires. Au-delà d'une augmentation de la production biologique, toute réduction de l'apport en carbone et en nutriments à la surface de l'Océan Austral aurait pu atténuer le dégazage de CO2.
Jusqu'à présent, les mécanismes proposés pour réduire la charge en carbone et en nutriments des eaux de surface de l'Océan Austral pendant les périodes glaciaires se sont principalement concentrés sur la diminution du transport physique de l'eau vers la surface. Cela inclut une réduction des remontées d'eau ou une stratification accrue, limitant le mélange des eaux profondes riches en nutriments et en carbone.
Le Rôle Insoupçonné du Pacifique Nord
Cependant, une réduction de la teneur en carbone et en nutriments des eaux remontantes elles-mêmes pourrait avoir joué un rôle critique. Il est donc important de considérer les changements potentiels dans la composition de l'eau alimentant la surface de l'Océan Austral.
Aujourd'hui, les eaux de surface de l'Océan Austral reçoivent la majeure partie de leur carbone et de leurs nutriments des profondeurs moyennes (1 à 3 km) du bassin du Pacifique Nord. Ces profondeurs moyennes sont mal ventilées et largement isolées des échanges avec la surface. Cela permet l'accumulation de quantités significatives de carbone et de nutriments reminéralisés.
« La réduction de la teneur en carbone et en nutriments de ces eaux de profondeur moyenne du Pacifique Nord, qui alimentent la surface de l'Océan Austral, offre un moyen alternatif de réduire l'apport en carbone et en nutriments glaciaires dans l'Océan Austral », explique Madison G. Shankle, l'auteure principale de l'étude.
Preuves du Passé : Les Enregistrements Proxies
Des enregistrements proxies biogéochimiques du Pacifique Nord et de l'Océan Austral révèlent une diminution des niveaux de nutriments de surface pendant les périodes glaciaires. Dans l'Océan Austral, une productivité biologique réduite est attestée par des proxies comme la diminution des flux de baryum biogène et d'opale dans les sédiments marins. De même, des valeurs élevées de δ15N indiquent une utilisation plus complète des nitrates, ce qui, combiné à une productivité réduite, suggère une plus petite quantité de nitrates disponibles, donc un apport réduit.
Des tendances remarquablement similaires sont observées dans le Pacifique Nord, avec une productivité réduite et une consommation accrue de nitrates. Ce schéma, qualifié de « Jumeaux Polaires », a longtemps intrigué les scientifiques. Les explications antérieures se sont concentrées sur l'isolement accru des eaux de surface par rapport aux eaux profondes, invoquant les mêmes processus physiques dans les deux régions.
Contexte Scientifique
Le δ15N est un indicateur isotopique qui révèle le degré d'utilisation des nitrates par la vie marine. Une valeur plus élevée signifie que les organismes ont consommé une plus grande proportion du stock disponible, laissant derrière eux une signature plus lourde en 15N.
Modélisation du Système Terrestre et Ventilation Accrue
L'étude utilise des simulations de modèles du système terrestre pour montrer que la diminution des nutriments de surface dans le Pacifique Nord est cohérente avec une meilleure ventilation de ses eaux de sub-surface. Contrairement aux idées reçues, les remontées d'eau dues au vent dans le Pacifique Nord auraient probablement augmenté pendant les périodes glaciaires, selon les modèles.
De plus, des preuves d'une formation accrue d'eaux intermédiaires régionales et une augmentation des isotopes de carbone benthiques suggèrent un renforcement de la ventilation. Cela signifie que la communication entre les eaux de sub-surface et de surface dans le Pacifique Nord était plus intense pendant les périodes glaciaires. Pour expliquer la réduction des nutriments en surface, il faut donc que les eaux de sub-surface elles-mêmes aient contenu moins de nutriments.
Statistique Clé
Les modèles indiquent une augmentation substantielle (environ 60%) du cisaillement du stress éolien sur le gyre subpolaire du Pacifique Nord pendant le Dernier Maximum Glaciaire par rapport à la période préindustrielle.
Un Réservoir de Carbone Dilué
Les simulations montrent qu'une circulation méridienne de retour active dans le Pacifique peut entraîner une réduction du contenu en nutriments de la sub-surface. La formation accrue d'eaux intermédiaires du Pacifique Nord (NPIW) sous des conditions glaciaires aurait permis aux eaux de surface bien ventilées de pénétrer jusqu'à environ 2000 m de profondeur. Ces eaux auraient remplacé les eaux profondes, mal ventilées et riches en carbone, par des eaux de surface relativement pauvres en carbone et en nutriments, provenant des basses latitudes.
Ce schéma de réduction du carbone et des nutriments à mi-profondeur est une réponse robuste à la ventilation dans les modèles, indépendamment des configurations ou des forces de ventilation. Le signal à faible teneur en carbone et en nutriments se propage vers le sud depuis le Pacifique Nord, notamment le long des isopycnes qui affleurent dans l'Océan Austral.
Impacts sur le Dégazage de l'Océan Austral
Pour quantifier l'impact de cette ventilation du Pacifique Nord sur l'Océan Austral, les chercheurs ont utilisé le modèle climatique du système terrestre de l'Université de Victoria (UVic ESCM). Les simulations ont comparé un scénario avec une forte ventilation du Pacifique Nord (UVic-NP), induite par l'apport d'eau douce dans l'Atlantique Nord, à un scénario de contrôle sans cette ventilation (UVic-ctrl).
Dans le scénario UVic-NP, la cellule de retournement des eaux intermédiaires du Pacifique Nord (GNPIW) a ventilé et réduit la teneur en carbone et en nutriments des eaux de sub-surface du Pacifique Nord. Cette anomalie s'est étendue vers le sud à travers le bassin le long des profondeurs moyennes. Une réduction moyenne de PCO2 de -199 μatm a été observée dans le Pacifique Nord de sub-surface, et de -1,3 μmol kg-1 pour les phosphates.
- PCO2 dans l'Océan Austral : Une anomalie moyenne d'environ -8 μatm a été constatée dans l'Océan Austral, avec des maxima dépassant -25 μatm dans le secteur Pacifique de la Zone Subantarctique.
- Phosphates : Les concentrations de phosphates ont diminué de -0,13 μmol kg-1 en moyenne dans l'Océan Austral, et jusqu'à -0,44 μmol kg-1 dans le secteur Indo-Pacifique.
Réduction du Dégazage de CO2
Ces anomalies négatives de PCO2 et de phosphates à la surface de l'Océan Austral ont directement entraîné une réduction du dégazage de CO2, principalement dans la Zone Subantarctique. Cette réduction représente une anomalie moyenne de -0,18 mol m-2 an-1 sur l'ensemble de l'Océan Austral, soit une diminution d'environ 50% par rapport au scénario de contrôle. Dans le secteur Indo-Pacifique, la réduction atteint -0,26 mol m-2 an-1, soit environ 79%.
Les changements dans la chimie des eaux (alcalinité et carbone inorganique dissous) dominent ce signal de réduction du dégazage, tandis que les variations de température et de salinité jouent un rôle mineur. Les surfaces de densité qui délimitent la masse d'eau à faible PCO2 du Pacifique Nord affleurent à la surface de l'Océan Austral, ce qui confirme le mécanisme proposé.
Qu'est-ce que le PCO2 ?
Le PCO2 (pression partielle potentielle de CO2) est une mesure du potentiel de dégazage ou d'absorption de CO2 d'une masse d'eau si elle était ramenée à la surface. Il prend en compte le carbone inorganique dissous et l'alcalinité, offrant une mesure plus précise que le carbone dissous seul.
Exclusion d'Autres Mécanismes
Afin de confirmer que la réduction du dégazage est principalement due à la composition des eaux et non à des changements physiques, les chercheurs ont examiné d'autres facteurs. Les simulations ont montré des changements négligeables dans le cisaillement du stress éolien sur l'Océan Austral, rendant improbable une réduction significative des remontées d'eau. La stratification n'a augmenté que de 1,5% en moyenne, ce qui est insuffisant pour expliquer la réduction observée.
De plus, la productivité primaire nette a légèrement diminué dans le scénario UVic-NP, ce qui, isolément, aurait dû augmenter le dégazage. Le fait que le dégazage ait diminué malgré une productivité réduite souligne l'importance du contenu biogéochimique de l'eau. Les vitesses du vent, la couverture de glace de mer et le pCO2 atmosphérique ont également été pris en compte, mais leurs contributions au signal de dégazage étaient mineures ou même opposées.
Implications pour les Cycles Glaciaires du CO2
Cette étude démontre que la dilution du réservoir de carbone à mi-profondeur du Pacifique Nord est cohérente avec un scénario de réduction du CO2 glaciaire. Bien qu'une partie du carbone perdu de ces profondeurs ait pu initialement être dégazée vers l'atmosphère (réponse transitoire), les simulations montrent une diminution du dégazage du Pacifique Nord après 1000 ans, indiquant une réponse à long terme.
Les résultats suggèrent un déplacement significatif du carbone des profondeurs moyennes vers l'océan profond, un phénomène similaire à l'hypothèse de l'« approfondissement des nutriments ». Cette découverte met en évidence la nécessité d'explorer davantage l'influence du Pacifique Nord sur la biogéochimie de l'Océan Austral.
Pistes Futures
Les futures recherches devraient se concentrer sur la quantification des changements dans le budget carbone océanique en réponse à la ventilation du Pacifique Nord et sur l'intégration de ce mécanisme avec d'autres facteurs comme la fertilisation par le fer ou les changements dans les propriétés des eaux de fond.
Une Nouvelle Perspective sur les « Jumeaux Polaires »
Cette étude offre une explication inédite au schéma des « Jumeaux Polaires » (réduction de l'apport en nutriments glaciaires dans le Pacifique Nord et l'Océan Austral). Les théories précédentes attribuaient ce schéma à des processus physiques locaux simultanés, comme une stratification accrue de l'océan supérieur. Cependant, les données proxies soutiennent une ventilation et une convection accrues dans le Pacifique Nord au Dernier Maximum Glaciaire.
Dans l'Océan Austral, bien que certaines études suggèrent une stratification glaciaire accrue en profondeur, la stratification proche de la surface aurait pu être réduite. Dans de telles conditions, une réduction du contenu en carbone et en nutriments des eaux de sub-surface devient essentielle pour expliquer la diminution de l'apport à la surface de l'Océan Austral.
En conclusion, la ventilation du Pacifique Nord émerge comme une caractéristique importante de l'océan glaciaire. Elle offre une explication non seulement pour les enregistrements proxies clés, mais aussi pour son influence sur le dégazage de l'Océan Austral, ce qui en fait un mécanisme potentiellement important pour comprendre les changements glaciaires du CO2 atmosphérique. Cette recherche souligne l'importance de la biogéochimie des eaux sources, aux côtés des processus physiques locaux, dans les théories des changements de CO2 glaciaires.