Sur l'île de Java, en Indonésie, des villages entiers sont progressivement engloutis par la mer, menaçant des millions de vies. Face à cette catastrophe imminente, le gouvernement indonésien envisage une solution radicale : la construction d'une digue maritime colossale de 700 kilomètres, dont le coût est estimé à 80 milliards de dollars.
Ce projet, présenté comme vital, suscite cependant de vifs débats. Tandis que les habitants voient leurs maisons disparaître, des experts alertent sur les conséquences écologiques et l'efficacité à long terme d'une telle infrastructure, plaidant pour des solutions inspirées par la nature.
Points Clés
- L'île de Java, la plus peuplée d'Indonésie, subit un affaissement de terrain et une montée des eaux, perdant entre 1 et 20 centimètres de terres côtières chaque année.
- Le gouvernement propose la construction d'une digue de 700 km pour un coût de 80 milliards de dollars afin de protéger la côte nord.
- Des villages comme Bedono et Semonet sont déjà partiellement ou totalement submergés, illustrant l'urgence de la situation.
- Des experts et des rapports de l'ONU remettent en question la viabilité de ce projet, suggérant des alternatives comme la restauration des mangroves et des relocalisations ciblées.
Une réalité quotidienne submergée par les flots
Dans le village de Bedono, sur la côte nord de Java, la mer a déjà gagné la bataille contre de nombreuses habitations. Les vagues lèchent désormais les fondations des bâtiments encore debout, forçant les résidents à s'adapter à une vie les pieds dans l'eau. Les trajets quotidiens, que ce soit pour l'école ou les courses, se font à travers des rues inondées.
« L'école ne peut pas fonctionner, les enfants ne peuvent pas jouer, ils ne peuvent que s'asseoir sur le trottoir et regarder l'eau », témoigne Karminah, une habitante de 50 ans. Cette situation est le résultat d'un double phénomène : la montée du niveau de la mer et l'affaissement du sol, qui fait disparaître entre 1 et 20 centimètres de terre chaque année.
Le village fantôme de Semonet
À une vingtaine de minutes en bateau de la côte actuelle se trouve le village abandonné de Semonet. Autrefois habité par des centaines de personnes, dont des pêcheurs de crabes comme Rasjoyo, il n'est plus aujourd'hui qu'un ensemble de structures inondées. Pour ses anciens habitants, l'idée d'une digue, proposée pour la première fois en 1995, arrive bien trop tard.
Face à l'urgence, les habitants ont tenté de résister par leurs propres moyens. Muhammad Syarif, le chef du village de Bedono, explique que beaucoup ont surélevé leurs maisons avec de la terre argileuse. Mais ces efforts sont insuffisants. Selon lui, une digue est « absolument nécessaire » pour éviter une catastrophe de plus grande ampleur.
Un projet titanesque pour retenir l'océan
Le gouvernement indonésien a présenté un plan ambitieux pour contrer la menace. Il s'agit d'une digue maritime géante s'étendant sur environ 700 kilomètres le long de la côte nord de Java. Ce projet est considéré par les autorités comme l'une de leurs initiatives « les plus vitales » pour soutenir les communautés côtières de l'île, où vit plus de la moitié des 280 millions d'Indonésiens.
Un coût et des financements incertains
Le coût de cette infrastructure est estimé à 80 milliards de dollars (environ 69 milliards d'euros). Le financement reste une question majeure. Le président indonésien, Prabowo Subianto, a activement cherché des investissements auprès de pays d'Asie et du Moyen-Orient pour concrétiser ce qui serait l'une des plus grandes structures de protection côtière au monde.
L'Indonésie n'est pas le premier pays à envisager de telles fortifications. Le Japon a érigé des barrières massives après le tsunami de 2011, et les Pays-Bas sont mondialement connus pour leur système complexe de digues qui protègent une grande partie de leur territoire situé sous le niveau de la mer.
Les doutes des experts et les solutions alternatives
Malgré l'urgence ressentie par les populations locales, le projet de digue géante est loin de faire l'unanimité. De nombreux experts et organisations internationales expriment leurs réserves quant à son efficacité et ses impacts environnementaux.
Un rapport des Nations Unies publié en 2022 a averti que les digues ne constituent souvent qu'une solution temporaire et peuvent même, dans certains cas, exacerber les effets du changement climatique en modifiant les courants et les écosystèmes côtiers.
Heri Andreas, expert en affaissement des terres à l'Institut de technologie de Bandung, suggère une approche plus nuancée. Selon lui, une combinaison de relocalisation des populations les plus exposées et la construction de digues plus petites et ciblées pourrait être une solution plus durable et moins coûteuse.
La nature comme première ligne de défense
De plus en plus de climatologues et d'écologistes plaident pour des solutions fondées sur la nature. Plutôt que de construire des murs en béton, ils préconisent la restauration d'écosystèmes qui protègent naturellement les côtes.
- Les mangroves : Ces forêts de palétuviers agissent comme une barrière naturelle contre les vagues et l'érosion. Leurs racines complexes stabilisent les sédiments et peuvent même aider à regagner du terrain sur la mer.
- Les récifs coralliens : Des récifs en bonne santé peuvent dissiper jusqu'à 97 % de l'énergie des vagues avant qu'elles n'atteignent la côte.
Ces approches présentent l'avantage d'être moins coûteuses à long terme et de générer des bénéfices écologiques, comme l'amélioration de la biodiversité et le soutien aux activités de pêche locales. Pour l'Indonésie, le choix entre le béton et la nature déterminera l'avenir de millions de personnes vivant sur le fil de la marée.





