La Cour internationale de Justice (CIJ) a émis en 2025 un avis consultatif historique, confirmant que l'objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est désormais la cible consensuelle de l'Accord de Paris. Cette décision majeure, qui abandonne la limite de « bien en-dessous de 2°C », redéfinit la manière dont les États doivent interpréter et mettre en œuvre leurs obligations en matière de climat. Il s'agit d'un instrument pour atteindre un objectif plus vaste : la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère.
Points Clés
- La CIJ confirme le 1,5°C comme objectif consensuel, mais le considère comme un moyen, non une fin.
- L'objectif ultime est la stabilisation des GES pour prévenir des interférences dangereuses.
- Les engagements des États doivent contribuer adéquatement à la réduction des émissions.
- Le géo-ingénierie ne dispense pas de la réduction des GES.
- L'élimination progressive des combustibles fossiles est une obligation légale.
- Les obligations des États persistent même si le seuil de 1,5°C est dépassé.
Le 1,5°C : Un Moyen Vers une Fin Ultime
L'avis consultatif de la CIJ, notamment au paragraphe 224, établit clairement que l'objectif de 1,5°C n'est pas une fin en soi. Il représente plutôt une concrétisation de l'objectif global de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Cet objectif, défini à l'article 2 de la CCNUCC, vise à stabiliser les concentrations de GES dans l'atmosphère à un niveau qui empêcherait toute interférence anthropique dangereuse avec le système climatique.
Cette interprétation s'aligne avec des conclusions similaires de la Cour européenne des droits de l'homme et d'autres tribunaux internationaux. Elle souligne que le cadre juridique climatique, incluant la CCNUCC, le Protocole de Kyoto de 1997 et l'Accord de Paris, partage un objectif commun et fondamental : la prévention des dommages climatiques.
Fait Important
Le réchauffement climatique moyen mondial a déjà atteint environ 1,4°C au-dessus des niveaux préindustriels. Avec les trajectoires d'émissions actuelles, le dépassement du seuil de 1,5°C est imminent.
L'Approche de la Cour et la Science Climatique
La science climatique soutient cette perspective. La relation entre la température moyenne mondiale et les impacts climatiques d'origine humaine est incontestable. L'augmentation des températures depuis la révolution industrielle est directement liée à la totalité des émissions de CO2 anthropiques, principalement dues à la combustion de combustibles fossiles.
Cependant, les scientifiques soulignent qu'une cible de température ne capture pas tous les impacts climatiques, comme l'acidification des océans ou les taux de changement. D'autres approches pourraient être envisagées pour atteindre l'objectif ultime, telles que l'évitement des points de bascule ou l'imposition de limites spécifiques aux émissions de GES. Le 1,5°C sert donc de proxy, un indicateur utile, mais ne doit pas remplacer l'objectif fondamental de réduire les émissions.
« L'objectif de température de l'Accord de Paris vise à promouvoir l'objet et le but généraux du cadre des traités sur le changement climatique, à savoir la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêcherait toute interférence anthropique dangereuse avec le système climatique. » — CIJ, paragraphe 225 de l'avis consultatif.
Implications Légales des Obligations des États
L'interprétation de la CIJ a des implications profondes pour les obligations des États. Selon l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, les dispositions de la CCNUCC et de l'Accord de Paris doivent être interprétées à la lumière de cet objectif ultime de stabilisation des GES.
La Réduction des Émissions comme Objectif Commun
La stabilisation des concentrations de GES pour prévenir les dommages climatiques est un objectif commun et collectif. La coopération est « indispensable » dans ce domaine, comme le souligne la Cour (paragraphe 215). Chaque État a une obligation de diligence raisonnable pour s'assurer que ses mesures nationales d'atténuation, « prises ensemble », sont capables d'atteindre l'objectif de 1,5°C et l'objectif global de stabilisation des niveaux de GES (paragraphe 245).
Les engagements des États dans leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN) ne sont pas de simples procédures. Ils doivent être « capables d'apporter une contribution adéquate » à la réalisation de l'objectif de température et à la limitation des émissions de GES (paragraphe 242).
Contexte Historique
L'Accord de Paris vise à renforcer la mise en œuvre de la CCNUCC, y compris son objectif, et à renforcer la réponse mondiale à la menace du changement climatique (Article 2 de l'Accord de Paris). Cette relation récursive est confirmée dans le préambule de l'Accord.
Limites Légales à la Géo-ingénierie
L'avis de la CIJ impose des limites claires à l'utilisation de la géo-ingénierie. Si l'objectif de 1,5°C est un moyen d'atteindre la réduction des émissions, alors l'atteinte de cet objectif de température par des moyens qui ne réduisent pas les émissions de GES ne suffit pas à remplir les obligations. Par exemple, la modification du rayonnement solaire (géo-ingénierie solaire) pourrait réduire temporairement les températures mondiales, mais elle ne s'attaque pas à la cause principale du changement climatique : les émissions de GES anthropiques.
Les risques de la géo-ingénierie sont bien documentés, incluant des perturbations des régimes de précipitations, des impacts sur les écosystèmes et le risque de « choc de terminaison » en cas d'arrêt brutal. S'appuyer sur la géo-ingénierie comme alternative à la réduction des émissions n'est donc pas conforme à l'objet et au but des traités climatiques.
L'Impératif de Sortir des Combustibles Fossiles
Prendre au sérieux l'objectif de limiter les émissions de GES signifie que les États pourraient être en violation de leurs obligations s'ils ne prennent pas de mesures suffisantes pour éliminer progressivement les combustibles fossiles. Cela inclut la réglementation de l'industrie des combustibles fossiles et la limitation de ses émissions.
La Cour a averti que le fait pour un État de ne pas prendre de mesures appropriées pour protéger le système climatique des émissions de GES, y compris par la production, la consommation, l'octroi de licences d'exploration ou les subventions aux combustibles fossiles, peut constituer un acte internationalement illicite (paragraphe 427).
Donnée Scientifique
Selon le rapport de synthèse de l'IPCC AR6 (page 20), les émissions de CO2 des infrastructures de combustibles fossiles existantes dépassent déjà le budget carbone restant pour avoir une chance de 50% d'atteindre l'objectif de 1,5°C.
L'élimination progressive des combustibles fossiles devrait donc constituer le pilier principal des mesures efficaces de prévention des dommages. Permettre l'exploitation de sources supplémentaires ou augmenter la consommation de combustibles fossiles est clairement incompatible avec l'objet et le but du cadre des traités sur le changement climatique.
Obligations Continuelles en Cas de Dépassement du 1,5°C
Avec le réchauffement déjà à 1,4°C, il est probable que le seuil de 1,5°C soit dépassé. La CIJ clarifie que si un scénario de « dépassement » se matérialise, les obligations des États en vertu de l'Accord de Paris ne cesseront pas. Au contraire, les États resteront liés par une obligation de diligence raisonnable pour prévenir, par une réduction rapide et significative de leurs émissions de GES, des dommages supplémentaires au système climatique.
Cette obligation est « rigoureuse » (paragraphe 254), en raison de la gravité des risques et des impacts projetés du changement climatique. Les États ont l'obligation de limiter l'ampleur et la durée de tout dépassement, en visant à revenir à un monde à 1,5°C dès que possible, ou, si cela n'est plus possible, à continuer de prévenir tous les effets néfastes supplémentaires du changement climatique anthropique.
Au-delà du Cadre des Traités Climatiques
L'avis consultatif de la CIJ est un développement pivot dans le droit international du changement climatique. En encadrant le 1,5°C comme un moyen et non une fin, la Cour renforce l'objectif principal de réduction des émissions de GES. Cette interprétation a des implications qui dépassent le cadre des traités climatiques.
La Cour estime que la concentration de GES à des niveaux dangereux est la cause première du « préjudice au système climatique », ce qui constitue en soi une forme de préjudice environnemental (paragraphe 278). Par conséquent, l'objectif de stabilisation des émissions de GES informe également les obligations des États qui ne sont pas parties aux traités climatiques, mais qui sont liées par le devoir coutumier de ne pas causer de dommages environnementaux transfrontaliers significatifs.
Ce devoir s'applique à chaque État, même si le risque de dommage est une conséquence de la combinaison d'activités de différents États (paragraphe 277). La nature cumulative du changement climatique exige une réponse coordonnée et coopérative de tous les États pour limiter efficacement les concentrations de GES dans l'atmosphère et prévenir les risques croissants pour l'humanité et la planète.





