Un accord juridique historique oblige Hawaï à atteindre zéro émission de carbone dans ses transports d'ici 2045. Cependant, un désaccord majeur émerge concernant les vols inter-îles, principale source de pollution. Le gouvernement propose des biocarburants, mais les jeunes plaignants exigent des solutions entièrement non polluantes, créant une impasse technologique et politique.
Ce débat met en lumière le défi colossal de la décarbonation du transport aérien, un secteur où les solutions à zéro émission ne sont pas encore commercialement viables à grande échelle. La confrontation oppose le pragmatisme industriel à un idéal environnemental strict, avec des conséquences importantes pour l'économie et les habitants de l'archipel.
Points Clés
- Un accord judiciaire, le règlement Navahine, impose à Hawaï d'éliminer les émissions de carbone des transports d'ici 2045.
- Les vols inter-îles représentent plus de 50 % des émissions de carbone liées aux transports civils dans l'État.
- Le Département des Transports d'Hawaï (HDOT) préconise l'utilisation de Carburant d'Aviation Durable (SAF) comme solution principale.
- Les jeunes activistes à l'origine du procès rejettent le SAF, le considérant comme une solution "nette-zéro" et non "zéro réelle", et plaident pour des avions 100 % électriques.
- L'industrie aérienne et les experts soulignent que la technologie des avions électriques n'est pas assez mature pour remplacer la flotte actuelle d'ici 2045.
Le règlement Navahine et un objectif ambitieux
En 2022, un groupe d'une douzaine d'adolescents a intenté une action en justice contre le Département des Transports d'Hawaï. Invoquant leur droit constitutionnel à un environnement propre et sain, ils ont accusé l'État de ne pas prendre les mesures nécessaires pour réduire les émissions de carbone, comme l'exige la loi.
Cette action a abouti en juin 2024 à un accord historique connu sous le nom de règlement Navahine. Cet accord oblige l'État à élaborer et à mettre en œuvre un plan pour atteindre zéro émission de carbone dans tous les modes de transport – voitures, navires et avions – d'ici 2045.
Des jalons intermédiaires ont été fixés pour 2030, 2035 et 2040 afin de garantir une progression constante vers cet objectif. Le défi le plus important concerne sans conteste le transport aérien inter-îles, qui est au cœur de la vie quotidienne et de l'économie hawaïenne.
Le poids du transport aérien
Les vols entre les îles d'Hawaï sont la plus grande source d'émissions de carbone du secteur des transports de l'État. Ils génèrent plus de 50 % des émissions totales du transport civil, soit environ 30 % de plus que toutes les voitures, camions et bus combinés sur les routes hawaïennes.
Le dilemme du carburant durable
Pour respecter les termes de l'accord, le Département des Transports d'Hawaï (HDOT) a présenté un plan préliminaire. La pierre angulaire de sa stratégie pour l'aviation est l'adoption du Carburant d'Aviation Durable, ou SAF (Sustainable Aviation Fuel). Le SAF est un biocarburant produit à partir de sources renouvelables comme les huiles végétales ou les déchets agricoles.
La position des plaignants
Les jeunes activistes, menés par Rylee Brooke Kamahele, 17 ans, s'opposent fermement à cette solution. Ils estiment que le SAF n'est pas une véritable solution à zéro émission. Leur argument principal repose sur la distinction entre "zéro réel" et "net-zéro".
"Le net-zéro signifie que nous continuons simplement à brûler des combustibles fossiles et que nous le cachons avec des compensations. Cela ne protège pas les générations futures", a déclaré Rylee Brooke Kamahele. Selon elle, l'objectif est d'atteindre "100 % sans carbone", ce que le SAF ne permet pas.
Les avocats des plaignants, issus des organisations Earthjustice et Our Children’s Trust, soulignent que la production et le transport du SAF génèrent également de la pollution. Ils qualifient cette approche de "greenwashing" et insistent sur des alternatives véritablement propres.
La vision de l'État et de l'industrie
De leur côté, le HDOT et l'industrie aéronautique considèrent le SAF comme la seule option réaliste à court et moyen terme. Selon Alana James, directrice de l'innovation durable pour Alaska et Hawaiian Airlines, le SAF peut réduire les émissions de carbone de 50 % à 80 % lorsqu'il est mélangé au kérosène conventionnel.
Un avantage majeur est que le SAF peut être utilisé avec les moteurs d'avion et les infrastructures de ravitaillement existants, ce qui évite des investissements massifs dans de nouvelles technologies. "L'intensification de l'offre de carburant d'aviation durable à un coût compétitif sera la clé pour réduire les émissions de carbone de l'aviation", a affirmé Alana James.
Les obstacles technologiques et économiques
Le débat met en évidence une tension fondamentale entre l'idéal d'une décarbonation totale et les limites de la technologie actuelle. Alors que les jeunes plaignants rêvent d'avions électriques, les experts du secteur restent prudents.
La promesse lointaine des avions électriques
Le HDOT estime que la technologie des batteries électriques n'est pas encore prête à être déployée sur de grands avions transportant plus de 100 passagers, comme ceux utilisés pour les vols inter-îles. Le département prévoit que d'ici 2045, les avions électriques ne pourraient représenter que 10 % des vols inter-îles.
Initiatives en cours
Malgré le scepticisme, des progrès sont réalisés. Hawaiian Airlines a investi dans REGENT Craft Inc., une société qui développe un "Seaglider" entièrement électrique. Cet aéronef, qui vole sur un coussin d'air au-dessus de l'eau, pourrait transporter 12 passagers d'ici 2026 ou 2027. Une version plus grande, de 50 à 100 passagers, est envisagée pour la fin de la décennie. Cependant, cette technologie ne répond pas encore aux besoins de la majorité des 150 vols quotidiens assurés par la compagnie.
Le gouverneur d'Hawaï, Josh Green, a salué l'engagement des jeunes activistes mais a appelé au réalisme. "C'est un jeu à long terme lorsque nous parlons du changement climatique", a-t-il déclaré, soulignant qu'il faudra des années avant que la technologie permette de remplacer entièrement la flotte actuelle par des avions électriques.
Le coût élevé du SAF
Même la solution jugée la plus pragmatique, le SAF, présente des défis économiques importants. Le principal problème est son coût : il est actuellement deux à cinq fois plus cher que le kérosène traditionnel.
Cette différence de prix se répercuterait inévitablement sur le coût des billets d'avion. Alana James estime qu'une transition vers des mélanges de SAF pourrait entraîner une augmentation de 25 % des prix du carburant, ce qui affecterait directement les voyageurs.
Pour rendre le SAF compétitif, l'industrie plaide pour des incitations fiscales de la part des gouvernements étatique et fédéral, similaires à celles qui ont soutenu le développement de l'énergie solaire et éolienne. Le plan du HDOT inclut d'ailleurs la création d'un crédit d'impôt pour le SAF.
Vers une production locale à Hawaï ?
Pour réduire la dépendance aux importations et potentiellement les coûts, des initiatives locales de production de SAF voient le jour à Hawaï. La seule raffinerie de l'État, Par Hawaii, investit massivement dans cette nouvelle filière.
En juillet, Par Hawaii a annoncé un partenariat avec Mitsubishi Corporation et ENEOS Corporation pour créer Hawaii Renewables, une coentreprise axée sur la production de carburants renouvelables. L'objectif est de produire 61 millions de gallons de SAF et d'autres biocarburants d'ici la fin de l'année.
Parallèlement, Par Hawaii collabore avec Pono Pacific, une entreprise de conservation des terres, pour cultiver de la caméline. Les graines oléagineuses de cette plante peuvent être transformées en SAF, offrant une perspective de production locale. "Pour que l'État atteigne ses objectifs, nous devrons vraiment tous travailler ensemble sur ce sujet", a déclaré Eric Wright, président de Par Hawaii.
La route vers une aviation décarbonée à Hawaï reste complexe. L'État est pris entre une obligation légale ambitieuse, les aspirations d'une jeunesse engagée et les réalités technologiques et économiques d'une industrie difficile à transformer. La décision finale sur la stratégie à adopter déterminera non seulement l'avenir environnemental de l'archipel, mais aussi le coût et la nature des voyages pour ses résidents.





