De nouveaux documents révèlent qu'Exxon, le géant pétrolier texan, a financé une campagne coordonnée à la fin des années 1990 et au début des années 2000 pour semer le doute sur le changement climatique en Amérique Latine. Cette stratégie visait à affaiblir le soutien aux traités climatiques internationaux, protégeant ainsi les intérêts de l'industrie des combustibles fossiles.
Des centaines de documents internes, incluant des copies de chèques et des correspondances, montrent comment l'entreprise a utilisé le réseau américain Atlas Network pour diffuser de la désinformation et influencer les décideurs politiques dans les pays en développement.
Points Clés
- Des documents inédits prouvent le financement par Exxon de groupes de réflexion pour promouvoir le déni climatique.
- La campagne ciblait principalement l'Amérique Latine pour entraver les négociations climatiques de l'ONU.
- Les fonds ont servi à traduire des ouvrages négationnistes et à organiser des tournées pour des conférenciers américains.
- La stratégie a été menée discrètement pour éviter d'associer publiquement le nom d'Exxon à ces activités.
Une stratégie pour influencer le Sud Global
À une période charnière pour la diplomatie climatique mondiale, Exxon a cherché à étendre son influence au-delà des États-Unis. Des documents obtenus par le site d'investigation DeSmog montrent que l'entreprise a collaboré avec l'Atlas Network, une coalition de plus de 500 groupes de réflexion pro-marché, pour atteindre cet objectif.
Le but était clair : convaincre les pays en développement des "effets néfastes des traités sur le changement climatique mondial", comme l'a expliqué l'Atlas Network à son donateur. Cette démarche visait à créer des divisions géopolitiques et à exploiter les craintes économiques qui persistent encore aujourd'hui dans les négociations climatiques.
Des financements ciblés et discrets
Les archives révèlent des transferts financiers concrets. En 1998, Exxon a envoyé un chèque de 50 000 dollars à l'Atlas Network, une somme qui équivaudrait à près de 100 000 dollars aujourd'hui. Cet argent était destiné à soutenir des "groupes internationaux capables d'influencer les politiques gouvernementales".
Exxon a insisté pour que son soutien reste confidentiel. Des notes résumant une réunion de 2000 avec des dirigeants d'Exxon indiquent que "l'approche a été menée en coulisses, sans chercher intentionnellement la reconnaissance publique pour ses efforts". L'objectif était d'aider, mais sans que cette aide soit connue.
Le rôle de l'Atlas Network
L'Atlas Network est une organisation basée aux États-Unis qui soutient un réseau mondial de groupes de réflexion (think tanks) promouvant des politiques de libre marché. Dans ce contexte, il a servi de canal pour distribuer les fonds d'Exxon et coordonner des actions de lobbying et de communication visant à discréditer la science du climat.
La mise en œuvre de la campagne de désinformation
Les fonds versés par Exxon ont permis de financer plusieurs actions concrètes en Amérique Latine et au-delà. L'une des initiatives principales a été la traduction et la diffusion de littérature niant le consensus scientifique sur le climat.
L'Atlas Network a rapporté à Exxon que ses partenaires en Amérique Latine avaient produit une traduction en espagnol d'une brochure de Fred Singer, un scientifique connu pour ses positions climatosceptiques. L'ouvrage, intitulé "L'argumentaire scientifique contre le traité sur le climat mondial", affirmait qu'il n'existait "aucun soutien scientifique significatif à une 'menace' mondiale de réchauffement climatique".
"Peu de ces réalisations auraient été possibles sans l'aide financière généreuse d'Exxon Corporation", écrivait l'Atlas Network dans une lettre de 1998 résumant ses activités pour son donateur.
L'organisation a également facilité la traduction de la brochure en chinois et organisé des rencontres pour des groupes de réflexion en Inde, les mettant en contact avec des organisations américaines de droite comme la Heritage Foundation et le Cato Institute, également connues pour leur scepticisme climatique.
Des conférenciers pour influencer l'opinion
Une autre facette de la stratégie consistait à organiser des événements publics pour des personnalités américaines du déni climatique. Ces tournées leur permettaient de rencontrer des acteurs influents locaux et de toucher les médias.
Des partenaires de l'Atlas Network, comme la Fundación República para una Nueva Generación en Argentine et l'Instituto Liberal au Brésil, ont organisé des séminaires à Buenos Aires juste avant les négociations de la COP4. L'un des événements mettait en vedette Patrick Michaels, un climatologue américain qui qualifiait le changement climatique d'"hystérie". L'objectif était de présenter ces conférenciers à des "ministres, politiciens, comités de rédaction et chefs d'entreprise".
L'impact durable de la désinformation
Selon Carlos Milani, professeur de relations internationales à l'Université d'État de Rio de Janeiro, les actions menées il y a 30 ans ont des conséquences directes aujourd'hui. "L'atmosphère a une énorme mémoire historique en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre", a-t-il déclaré, soulignant que le retard pris dans l'action climatique mondiale est en partie dû à ces campagnes.
Des conséquences visibles aujourd'hui
Le retard accumulé dans la lutte contre le changement climatique, exacerbé par ces campagnes de désinformation, a des effets dévastateurs. Alors que le Brésil se prépare à accueillir la COP30 à Belém, les scientifiques alertent sur le franchissement de points de bascule critiques.
La disparition massive des récifs coralliens est désormais considérée comme probablement irréversible. De plus, sans une réduction drastique des émissions et de la déforestation, l'effondrement de la forêt amazonienne pourrait devenir inévitable au cours des 10 à 20 prochaines années.
Kert Davies, directeur des enquêtes spéciales au Center for Climate Integrity, résume l'impact de cette stratégie : "Exxon semblait penser que si l'on pouvait rendre les nations en développement, et toutes les nations, sceptiques quant à la crise climatique, il n'y aurait jamais de traité mondial sur le climat." Cette histoire met en lumière les efforts déployés par certains acteurs de l'industrie des combustibles fossiles pour façonner le débat public et retarder l'action climatique mondiale pendant des décennies.
Interrogé sur ces documents, un porte-parole de l'Atlas Network a minimisé leur importance, affirmant qu'ils dataient de plus d'un quart de siècle et concernaient un donateur qui n'est plus important pour l'organisation depuis près de vingt ans. Exxon n'a pas répondu aux demandes de commentaires.





