Il y a près de vingt ans, certaines prédictions scientifiques annonçaient la disparition imminente de la glace de mer estivale dans l'Arctique. Ces prévisions, relayées notamment par Al Gore, ont suscité un vif intérêt médiatique. Cependant, elles n'ont pas fait l'unanimité au sein de la communauté scientifique et ont été rapidement réfutées. Ce sujet reste un point de discussion fréquent, notamment pour ceux qui contestent la nécessité d'agir contre le changement climatique. Il est essentiel de comprendre le contexte de ces prédictions et pourquoi elles n'ont pas été validées par les observations.
Points clés
- Des prédictions de disparition rapide de la glace arctique en été ont été faites vers 2007.
- Ces prévisions, bien que médiatisées, n'ont pas été largement acceptées par les scientifiques.
- La glace de mer arctique a diminué de 40% mais n'a pas disparu.
- Les prédictions controversées étaient souvent basées sur des extrapolations linéaires de données limitées.
- La communauté scientifique a majoritairement exprimé son scepticisme face à ces méthodes.
L'origine des prédictions controversées
Les contestataires du climat utilisent souvent les « prévisions ratées » du passé pour appuyer leur argument selon lequel aucune action n'est nécessaire face au changement climatique. Pendant longtemps, leur exemple favori était le prétendu consensus des années 1970 sur l'imminence d'une nouvelle ère glaciaire. Plus récemment, ils se sont tournés vers la prédiction attribuée à Al Gore concernant la disparition de la glace de mer estivale arctique en quelques années.
Ce récit est puissant car il associe directement Al Gore à la communauté scientifique, sonne apocalyptique, et surtout, la glace de mer estivale arctique n'a pas disparu. Elle a cependant diminué d'environ 40%.
Fait notable
L'étendue de la glace de mer estivale arctique a diminué d'environ 40% depuis les années 1970, mais elle n'a pas complètement disparu, contrairement à certaines prédictions initiales.
Ce qu'Al Gore a réellement dit en 2007
En décembre 2007, suite à une diminution spectaculaire de la glace de mer cet été-là, Al Gore a prononcé son discours d'acceptation du prix Nobel de la paix, qu'il avait reçu conjointement avec le GIEC. Il a déclaré :
« Le 21 septembre dernier, alors que l'hémisphère nord s'inclinait loin du soleil, des scientifiques ont rapporté avec une détresse sans précédent que la calotte glaciaire du pôle Nord est en train de 'tomber d'une falaise'. Une étude a estimé qu'elle pourrait disparaître complètement pendant l'été en moins de 22 ans. Une autre nouvelle étude, qui sera présentée par des chercheurs de l'US Navy plus tard cette semaine, avertit que cela pourrait se produire en seulement 7 ans. »
Ces propos rapportaient des informations de l'époque. La première étude mentionnée faisait probablement référence à un commentaire ou un pré-publication dans EOS, qui soulignait la performance insuffisante des modèles climatiques pour suivre la perte de glace arctique. Elle avançait une estimation experte d'une disparition de la glace estivale vers 2030.
Les modèles et les extrapolations
La deuxième étude citée par Gore concernait une présentation à l'AGU (American Geophysical Union) de l'automne 2007 par Wieslaw Maslowski. Ce dernier utilisait l'un des modèles de glace à haute résolution disponibles. Cependant, sa prédiction n'était pas directement basée sur son modèle, mais plutôt sur une extrapolation linéaire du volume de glace de ce modèle. Ce type d'approche, bien que rapide, peut manquer de robustesse scientifique car elle ne prend pas toujours en compte les dynamiques physiques complexes.
Contexte scientifique
Les modèles climatiques sont des outils complexes qui simulent les interactions entre l'atmosphère, les océans, la terre et la glace. Les extrapolations linéaires, bien que simples, peuvent s'avérer imprécises pour des systèmes non linéaires comme le climat.
Autres prévisions et le scepticisme de la communauté
Al Gore a continué de faire référence à la prédiction de Maslowski au moins jusqu'en 2009. Au cours des années suivantes, d'autres chercheurs ont également proposé des prévisions de glace de mer en utilisant des méthodologies parfois peu orthodoxes. Parmi eux, Peter Wadhams, professeur émérite à l'Université de Cambridge, et le groupe « Arctic Methane Emergency Group » (AMEG).
Wadhams et l'AMEG ont notamment présenté des graphiques d'épaisseur de glace extrapolée à partir du modèle PIOMASS de l'Université de Washington, suggérant un Arctique sans glace d'ici 2015. Ces méthodes étaient souvent basées sur des ajustements naïfs de données bruyantes, extrapolés bien au-delà de leur portée initiale, et manquaient de modélisation physique pour l'état futur.
- Méthodes employées : Extrapolations linéaires ou exponentielles de données limitées.
- Critiques : Manque de base physique solide, ajustements simplistes à des données complexes.
- Conséquence : Prédictions divergentes selon les données (étendue vs. volume).
La réaction de la communauté scientifique
Dès les présentations initiales de Maslowski en 2007, une grande partie de la communauté scientifique a exprimé son scepticisme. Lors d'un atelier de la Royal Society en 2014 sur la réduction de la glace de mer arctique, Peter Wadhams a présenté un graphique similaire à ceux cités précédemment. Lors de la période de questions-réponses, il a été interrogé sur la base physique de son extrapolation, à laquelle il a répondu par la négative.
Ce manque de fondement physique a été un facteur clé dans le rejet de ces prévisions par la majorité des experts. Il est important de souligner que ce scepticisme n'était pas le fait d'une seule personne, mais d'une large partie des spécialistes du domaine.
Défis de la modélisation
Les modèles climatiques standards (comme ceux du CMIP3 à l'époque) étaient parfois jugés trop conservateurs dans leurs prévisions de perte de glace, mais les ignorer complètement au profit d'extrapolations simplistes était considéré comme une erreur par la plupart des scientifiques.
Pourquoi ces prédictions n'ont-elles pas été publiées ?
La principale raison pour laquelle ces prédictions extrêmes n'ont jamais été publiées dans des revues à comité de lecture est la difficulté à trouver des relecteurs qui les auraient jugées crédibles. Le processus de publication scientifique exige une rigueur méthodologique et une justification physique que ces extrapolations ne possédaient pas.
La science est un domaine compétitif où les scientifiques défendent farouchement leur indépendance. Obtenir un consensus, même sur un point précis, demande un effort considérable. C'est pourquoi des évaluations comme celles du GIEC sont cruciales. Elles permettent de synthétiser un large éventail d'opinions et de méthodes individuelles en une évaluation plus cohérente et équilibrée, acceptée par une majorité d'experts.
Leçons tirées de cet épisode
Avec le recul, il est clair que certains ont été "trompés par le hasard", accordant trop d'importance aux fluctuations à court terme plutôt qu'à la tendance à long terme. C'est un problème courant dans l'analyse de données complexes. Les données actuelles du volume de glace PIOMASS montrent des fluctuations, mais la tendance générale de diminution est persistante.
Il serait absurde de suggérer que les scientifiques auraient dû empêcher Maslowski ou Wadhams de présenter leurs idées ou de parler aux journalistes. La liberté d'expression est fondamentale en science. Cependant, d'autres scientifiques ont bien exprimé leur scepticisme et produit de meilleures évaluations. Pour ceux qui recherchent des projections sérieuses, les évaluations du GIEC et d'organismes similaires restent la référence la plus fiable.
Références importantes
Une référence clé sur l'avenir de la glace de mer arctique est l'article de Maslowski et al. (2012) :
W. Maslowski, J. Clement Kinney, M. Higgins, et A. Roberts, "The Future of Arctic Sea Ice", Annual Review of Earth and Planetary Sciences, vol. 40, pp. 625-654, 2012. http://dx.doi.org/10.1146/annurev-earth-042711-105345





