Le plus grand assureur non-vie du Japon, Tokio Marine, a finalisé l'acquisition de la société de conseil en ingénierie Integrated Design & Engineering (ID&E) pour un montant de 97,8 milliards de yens (environ 642 millions de dollars). Cette opération stratégique vise à transformer le modèle d'assurance traditionnel en intégrant des services de prévention des catastrophes naturelles, une réponse directe à l'intensification des risques liés au changement climatique.
Points Clés
- Tokio Marine a acquis la firme d'ingénierie ID&E pour 97,8 milliards de yens (642 millions de dollars).
- L'objectif est de passer d'un modèle de dédommagement post-catastrophe à une approche de prévention des risques.
- Cette initiative vise à maîtriser les coûts croissants des sinistres liés aux événements climatiques extrêmes.
- Le marché japonais de la prévention des catastrophes pour le secteur privé est estimé à 80 milliards de yens, avec un fort potentiel de croissance.
Une stratégie d'assurance proactive face au climat
Face à l'augmentation des coûts liés aux catastrophes naturelles, Tokio Marine adopte une approche novatrice. Plutôt que de se contenter de compenser les pertes, l'entreprise entend proposer à ses clients les services d'ID&E pour renforcer leurs infrastructures et minimiser les dommages futurs. Cette initiative est considérée comme une première mondiale dans le secteur de l'assurance IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers).
Hiroaki Shirota, directeur général de Tokio Marine & Nichido Fire Insurance, a souligné le caractère unique de cette démarche. L'objectif est d'inciter les entreprises à investir dans la prévention plutôt que de se limiter à la simple restauration des biens endommagés après un sinistre. Cette approche préventive pourrait à terme stabiliser, voire réduire, les primes d'assurance pour les clients qui s'engagent dans cette voie.
"En réalité, si l'on se contente d'une restauration, la prochaine fois qu'une catastrophe similaire se produira, des dommages similaires surviendront à nouveau", a déclaré Hiroaki Shirota. "Et si les entreprises continuent ainsi et déposent sans cesse des demandes d'indemnisation, le prix de leur prime est susceptible d'augmenter."
Pour tester ce nouveau modèle, Tokio Marine prévoit de proposer les services d'ID&E à une centaine d'entreprises japonaises particulièrement exposées aux risques d'inondations, de glissements de terrain et autres phénomènes liés au climat.
Le contexte économique et climatique au Japon
Le Japon est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Selon la société météorologique japonaise, la fréquence et l'intensité des événements extrêmes sont en hausse. Les typhons deviennent plus puissants, tout comme les phénomènes associés tels que la foudre, la grêle et les tornades.
Les assureurs japonais ont récemment alerté sur les "catastrophes de grêle", où des grêlons de grande taille peuvent causer des dégâts importants, notamment aux véhicules. Cette situation a déjà entraîné une augmentation des couvertures d'assurance automobile.
Les pertes mondiales en chiffres
Selon le réassureur Swiss Re, les pertes économiques dues aux catastrophes naturelles ont atteint 138 milliards de dollars au premier semestre 2023, contre 123 milliards pour la même période en 2022. Fait marquant, 58 % de ces pertes n'étaient pas assurées, soulignant un écart croissant entre les coûts réels et la couverture d'assurance.
En réponse à cette tendance, Tokio Marine avait déjà augmenté de 38 milliards de yens son budget annuel consacré aux indemnisations pour catastrophes naturelles. L'acquisition d'ID&E représente une étape supplémentaire pour maîtriser ces coûts de manière durable.
Un marché privé à fort potentiel
Le potentiel de ce nouveau modèle économique est considérable. Hiroaki Shinya, président d'ID&E, estime que le marché japonais du conseil en prévention et atténuation des catastrophes s'élève à environ 800 milliards de yens.
Cependant, ce marché est actuellement dominé par le secteur public.
- Dépenses publiques : 90 % du marché, soit environ 720 milliards de yens.
- Dépenses privées : 10 % du marché, soit environ 80 milliards de yens.
"On peut voir à quel point le marché pourrait être vaste", a commenté Hiroaki Shinya, soulignant l'énorme marge de progression dans le secteur privé. L'alliance entre Tokio Marine et ID&E vise précisément à capter cette demande latente.
Le rôle de la gouvernance d'entreprise
Les réformes de la gouvernance d'entreprise au Japon jouent un rôle clé. Selon Futoshi Sasaki, analyste chez Nomura, les actionnaires exercent une pression croissante sur les entreprises pour qu'elles utilisent leur trésorerie de manière plus efficace. Auparavant, les sociétés conservaient d'importantes liquidités pour faire face aux risques. Aujourd'hui, cette stratégie est moins viable, ce qui les incite à chercher des solutions externes comme celles proposées par Tokio Marine.
Cette pression incite les entreprises à collaborer avec des assureurs pour gérer les risques de manière plus structurée, plutôt que de simplement immobiliser des capitaux. Le partenariat avec ID&E offre une solution concrète qui répond à la fois aux exigences de gestion des risques et aux attentes des investisseurs.
Un modèle pour l'avenir de l'assurance
L'initiative de Tokio Marine pourrait bien redéfinir le rôle des assureurs à l'échelle mondiale. En passant d'un simple payeur de sinistres à un partenaire actif dans la gestion des risques, l'entreprise se positionne à l'avant-garde d'un secteur en pleine mutation.
Futoshi Sasaki de Nomura a qualifié cette opération de "très unique", ne se souvenant d'aucun autre exemple où un grand assureur mondial a investi directement dans une société d'ingénierie. Si ce modèle s'avère efficace, il pourrait être largement reproduit par d'autres acteurs du secteur confrontés aux mêmes défis.
En fin de compte, la collaboration entre l'expertise financière de Tokio Marine et les compétences techniques d'ID&E pourrait non seulement générer des profits, mais aussi contribuer à la résilience des entreprises et de la société face à un avenir climatique incertain. C'est un pari stratégique sur la valeur de la prévention.





