L'Allemagne, première économie d'Europe, observe un débat croissant autour du Système d'échange de quotas d'émission (ETS) de l'Union européenne. Des voix influentes de l'industrie et de la politique allemande critiquent cet outil climatique majeur, le jugeant potentiellement dangereux pour la compétitivité du pays. Ces tensions surviennent alors que l'ETS s'apprête à entrer dans une phase plus stricte, marquée par une réduction des quotas et l'élimination progressive des allocations gratuites.
Points Clés
- Le système ETS de l'UE est remis en question par l'industrie et des politiques allemands.
- La fin des quotas gratuits et l'augmentation des prix du carbone préoccupent la grande industrie.
- Des emplois industriels sont jugés menacés par la "taxe carbone".
- Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) est lié à la suppression des allocations gratuites.
L'ETS face aux critiques allemandes
Depuis son lancement en 2005, le système ETS a imposé un plafond aux émissions des centrales électriques et des installations industrielles. Ce mécanisme a contraint les exploitants à acheter des quotas pour le CO2 qu'ils rejettent. Il est souvent considéré comme un succès en matière de politique climatique, ayant réussi à dissocier les émissions de la croissance économique. En effet, alors que le PIB de l'Union a fortement progressé, les émissions ont diminué d'environ un milliard de tonnes par an.
Cependant, le système évolue vers une plus grande rigueur. Le nombre total de quotas mis aux enchères diminue de plus de 4 % par an. Le prix du carbone a également plus que doublé, atteignant environ 80 euros par tonne de CO2. Dans le même temps, les allocations gratuites accordées aux industries lourdes pour les protéger de la concurrence étrangère vont progressivement disparaître. Ces changements provoquent une forte mobilisation des industriels allemands.
« La taxe carbone doit être abolie ! Elle met en péril au moins 200 000 emplois industriels bien rémunérés en Allemagne », a déclaré Christian Kullmann, PDG de l'entreprise chimique Evonik, dans une récente interview au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. « Le système ETS est comme un gilet de plomb », a-t-il ajouté.
Chiffres Clés
- +4%: Réduction annuelle des quotas ETS.
- 80 €: Prix actuel d'une tonne de CO2, soit plus du double de son niveau antérieur.
- 2034: Date prévue pour la suppression totale des allocations gratuites.
La fin des allocations gratuites et l'impact sur l'industrie
Les allocations gratuites, qui devaient protéger l'industrie européenne contre la délocalisation de la production vers des pays où les normes environnementales sont moins strictes, commenceront à être réduites l'année prochaine. Cette suppression est liée à la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) par l'UE. Le MACF imposera un tarif commercial basé sur l'empreinte carbone estimée des biens importés dans l'UE.
Les allocations gratuites diminueront de 2,5 % l'année prochaine et seront complètement supprimées d'ici 2034. Ce changement aura un impact notable sur l'Allemagne, qui abrite une grande partie de l'industrie lourde européenne.
« La fin des allocations gratuites est une menace pour notre site industriel », a déclaré Katherina Reiche, ministre de l'Économie allemande (CDU), fin septembre. « Nous devons trouver une solution rapidement au sein de l'UE. »
Il est important de noter que des secteurs comme la chimie ont bénéficié de nombreuses allocations gratuites par le passé. En 2023, le secteur chimique a reçu 90 millions de quotas pour couvrir ses 92 millions de tonnes d'émissions de CO2. L'acier et le fer ont reçu 154 millions de certificats gratuits, dépassant leurs émissions de 146 millions de tonnes de CO2 cette année-là. Les producteurs de ciment et de chaux ont été alloués 108 millions de quotas pour 106 millions de tonnes d'émissions. Ces quotas excédentaires pouvaient être vendus, générant des revenus supplémentaires ou étant conservés pour les années futures.
Contexte du MACF
Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) vise à équilibrer les coûts du carbone entre les produits nationaux et importés. Il doit prévenir la "fuite de carbone", où les entreprises délocalisent leur production vers des pays moins exigeants en matière d'émissions. Ce mécanisme est une pierre angulaire de la politique climatique européenne, mais il est aussi un point de friction majeur pour les industries fortement émettrices.
L'Allemagne à la croisée des chemins
L'Allemagne, avec son importante base industrielle, se trouve à un moment décisif. Le chancelier Friedrich Merz, également membre de la CDU, a souvent souligné que « le prix du CO2 doit être l'instrument central » de l'action climatique de l'UE. Cependant, cette position est désormais assortie de réserves. « Nous avons encore un certain nombre de questions à résoudre… y compris la question de la durée d'attribution des quotas gratuits », a déclaré Merz lors d'un discours devant des chefs d'entreprise en septembre.
À Bruxelles, un haut fonctionnaire a suggéré que l'industrie lourde allemande serait « prête à tout, même à faire tomber le MACF, pour conserver ses allocations gratuites de certificats ETS ». Le sidérurgiste Thyssenkrupp a déclaré que l'ETS « doit être ajusté de toute urgence » lors d'un examen en cours du système. L'entreprise estime que le système, actuellement prévu pour expirer en 2039, devrait être prolongé jusqu'en 2050, avec des allocations gratuites se poursuivant dans les années 2040.
Inquiétudes des syndicats
Les groupes de travailleurs partagent également ces préoccupations. Michael Vassiliadis, président du syndicat influent IG BCE, a comparé les coûts du carbone : « En Chine, une tonne de CO2 ne coûte qu'un septième de ce que nos entreprises paient en Europe, et au Japon seulement un soixante-dixième. » Il a également souligné l'absence de système d'échange de quotas d'émission aux États-Unis. Vassiliadis a appelé à « poursuivre l'allocation gratuite de quotas pour les entreprises à forte intensité de CO2 jusqu'à ce que des alternatives soient disponibles à des conditions compétitives. »
Sam Van den Plas de Carbon Market Watch, un groupe de réflexion sur le climat, a qualifié les arguments de Vassiliadis d'« insincères » dans son « attaque » contre l'ETS. Van den Plas a noté que la protection du climat impliquait aussi la protection des travailleurs. Pourtant, même Carsten Schneider, ministre allemand de l'Environnement (SPD), souvent en désaccord avec la CDU de Merz, s'est prononcé contre l'ETS. Les négociations sur ce dossier à Bruxelles relèvent de sa compétence.
« Plus aucun certificat n'est prévu pour l'industrie chimique à partir de 2039 », a-t-il déclaré aux députés. « Je voudrais que nous clarifiions la question des emplois et celle des certificats pour la période après 2039. Nous n'avons pas à être climatiquement neutres d'ici là – nous voulons l'être d'ici 2045 », a ajouté Schneider, faisant référence à l'objectif climatique national de Berlin. « D'ici 2050 en Europe. »
Ce débat intervient à un moment délicat pour la tarification du carbone en Europe, avec une opposition politique croissante à l'ETS2, qui vise le chauffage et les carburants automobiles.





