La construction et l'expansion du mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique suscitent des inquiétudes croissantes parmi les écologistes. Ces barrières physiques, ainsi que les infrastructures associées, menacent directement les populations de pollinisateurs, notamment les abeilles, les papillons et les chauves-souris, dans l'une des régions les plus riches en biodiversité d'Amérique du Nord.
Les experts avertissent que la destruction de l'habitat, l'obstacle aux migrations et la pollution lumineuse pourraient avoir des conséquences graves et durables sur des écosystèmes fragiles qui dépendent de ces espèces pour leur survie.
Points Clés
- La construction du mur frontalier détruit des milliers d'hectares d'habitat naturel vital pour les pollinisateurs.
- Les barrières physiques de 5 à 9 mètres de haut peuvent empêcher ou perturber le vol des insectes et le déplacement des animaux terrestres.
- L'éclairage intense installé le long du mur désoriente les espèces nocturnes comme les papillons de nuit et les chauves-souris.
- La région frontalière abrite une concentration exceptionnellement élevée d'espèces, dont certaines sont déjà menacées d'extinction.
Une Biodiversité Exceptionnelle Sous Pression
La zone frontalière de 3 145 kilomètres entre les États-Unis et le Mexique est souvent perçue comme un désert aride, mais elle abrite en réalité plusieurs écosystèmes d'une richesse remarquable. Des centaines d'espèces de mammifères, d'oiseaux et d'insectes y vivent et s'y déplacent.
La vallée du Bas-Rio Grande, au Texas, est un exemple frappant. Elle héberge environ 1 200 espèces de plantes et près de 300 espèces de papillons. De même, la vallée de San Bernardino, qui s'étend de l'Arizona au Mexique, est un autre point chaud de biodiversité.
Un Sanctuaire pour les Abeilles
Des chercheurs ont récemment découvert dans la vallée de San Bernardino une zone de seulement 15 kilomètres carrés abritant près de 500 espèces d'abeilles, l'une des plus fortes concentrations connues au monde.
Scott Black, directeur exécutif de la Xerces Society for Invertebrate Conservation, souligne l'importance de cette région. "Ce sont certaines des zones les plus importantes pour les pollinisateurs indigènes, qu'il s'agisse d'abeilles ou de papillons, ainsi que pour toute une série d'autres mammifères, amphibiens et reptiles indigènes", a-t-il déclaré.
Les Multiples Impacts du Mur sur la Faune
La menace que représente le mur n'est pas seulement liée à la barrière physique elle-même. La construction et l'entretien de l'infrastructure entraînent une cascade d'effets négatifs sur l'environnement local.
Destruction Directe de l'Habitat
Pour construire le mur, de vastes étendues de végétation sont défrichées. Cela inclut non seulement l'empreinte du mur, mais aussi de larges corridors de chaque côté pour les routes de patrouille et les zones de surveillance. "Ce ne sont pas seulement un mur et de l'habitat de chaque côté. Ces terres sont défrichées", explique Scott Black. Il estime que des milliers d'hectares d'habitat indigène ont été ou seront détruits.
Un Obstacle Physique au Déplacement
Les structures en acier, qui peuvent atteindre jusqu'à 9 mètres de haut, représentent un obstacle majeur. Une étude de l'U.S. Geological Survey (USGS) menée en 2023 et 2024 a observé le comportement des pollinisateurs face au mur au sud du Texas.
- Les abeilles ont été observées volant au-dessus des barrières.
- La plupart des papillons ont réussi à traverser, mais 7 % d'entre eux ont fait demi-tour ou ont volé parallèlement au mur sans le franchir.
- Les papillons de nuit ont été vus rampant à travers les lattes, mais 20 % n'ont pas traversé.
Pour les animaux terrestres, l'impact est encore plus évident. "Les tortues du désert ne peuvent pas franchir les poteaux, et elles sont d'incroyables disperseurs de graines", explique Russ McSpadden du Center for Biological Diversity. Ces tortues se nourrissent de cactus et dispersent les graines dans leurs excréments, contribuant ainsi à la régénération des plantes.
La Menace de l'Éclairage et de la Chaleur
L'un des aspects les plus préoccupants est l'installation d'un éclairage de type stade le long de la frontière. Entre 2019 et 2021, plus de 1 800 de ces puissants projecteurs ont été érigés, principalement en Arizona.
"Des études montrent qu'en général, les lumières artificielles attirent ou repoussent les insectes. Et les deux peuvent être vraiment problématiques." - Russ McSpadden, Center for Biological Diversity
Les papillons de nuit, par exemple, peuvent être attirés par la lumière, ce qui les rend vulnérables aux prédateurs et les détourne de leurs activités de pollinisation. Les chauves-souris, pollinisatrices essentielles des cactus saguaro et organ pipe, sont également désorientées par la lumière artificielle, ce qui affecte leur alimentation et leur navigation.
Une autre initiative consistant à peindre les barrières en noir pour dissuader les gens de les escalader par la chaleur pourrait également nuire aux insectes qui se posent ou rampent sur la surface surchauffée.
Un Déclin Mondial des Pollinisateurs
La situation à la frontière s'inscrit dans un contexte mondial de déclin des pollinisateurs. Selon le U.S. Fish and Wildlife Service, plus de 70 espèces de pollinisateurs sont déjà classées comme menacées ou en danger aux États-Unis. Une étude récente a révélé qu'un pollinisateur indigène sur cinq en Amérique du Nord est exposé à un risque élevé d'extinction, le Sud-Ouest étant la région la plus touchée.
Un Avenir Incertain et un Manque de Données
Malgré les inquiétudes, les experts admettent que la recherche sur l'impact spécifique du mur sur les pollinisateurs est encore limitée. Une grande partie de l'infrastructure est récente et le financement pour de telles études est insuffisant aux États-Unis.
Les scientifiques s'appuient sur des recherches menées sur des barrières similaires ailleurs dans le monde. Une étude de 2003 a suggéré qu'une section de la Grande Muraille de Chine avait restreint le flux génétique de plantes pollinisées par des insectes pendant plus de 600 ans, démontrant les effets à long terme de telles structures.
Le manque de données complètes pousse des groupes de citoyens et des scientifiques à tenter de surveiller et de compter les espèces dans les zones frontalières. Le papillon monarque, par exemple, qui dépend de l'asclépiade pour sa reproduction, utilise cette région comme un corridor migratoire vital et est actuellement à l'étude pour être inscrit sur la liste fédérale des espèces en voie de disparition.
Face à cette situation, les défenseurs de l'environnement proposent des mesures d'atténuation. La revégétalisation des zones de chaque côté du mur avec des plantes indigènes pourrait compenser une partie de la perte d'habitat. De plus, la conception même du mur pourrait être ajustée, avec des lattes plus espacées pour permettre aux papillons et autres insectes de passer plus facilement. Scott Black conclut que tout le monde peut jouer un rôle, même les propriétaires de jardins, en créant des habitats et en limitant l'usage des pesticides. "Chacun peut participer à l'effort de protection des pollinisateurs", affirme-t-il.





