Lors d'une conférence internationale en Autriche, près de 180 scientifiques et experts juridiques ont débattu du concept de "dépassement climatique". Ce scénario envisage un réchauffement planétaire dépassant temporairement la limite de 1,5 °C fixée par l'Accord de Paris, avant une éventuelle redescente grâce à des technologies d'élimination du dioxyde de carbone. Cependant, cette hypothèse soulève de nombreuses questions cruciales qui restent sans réponse.
Les discussions ont mis en lumière les profondes incertitudes concernant les impacts réels d'un tel dépassement, la fiabilité des solutions envisagées et la capacité des sociétés à gérer une crise d'une telle ampleur. Les spécialistes s'accordent sur un point : chaque fraction de degré au-dessus de 1,5 °C augmente considérablement les risques pour les écosystèmes et les populations vulnérables.
Points Clés
- Le pic de température et la durée du dépassement sont des inconnues majeures qui déterminent le niveau de risque.
- L'efficacité et les conséquences des technologies d'élimination du carbone (CDR) sont encore mal comprises.
- Les plans d'adaptation actuels, conçus pour un monde à +1,5 °C, deviendraient obsolètes, créant un défi immense pour les pays les plus vulnérables.
- La capacité des sociétés à coopérer et à mettre en œuvre des mesures de réduction de la température dans un monde déstabilisé par les impacts climatiques est incertaine.
- Les cadres juridiques et de gouvernance mondiaux ne sont pas préparés pour gérer les conséquences d'un dépassement.
L'incertitude du pic et de la durée
Une des préoccupations centrales exprimées par les scientifiques est de savoir à quel point les températures mondiales augmenteront avant de potentiellement diminuer. Le pic de ce dépassement est une variable critique qui conditionne l'ampleur des dégâts.
"Le pic sera-t-il de 1,6 °C, 1,7 °C ou 2,1 °C ? Tous ces scénarios sont effrayants pour les petits États insulaires en développement", a souligné un délégué. Pour ces nations, chaque dixième de degré compte et la différence entre un léger dépassement et un pic plus élevé se mesure en termes de survie.
La durée pendant laquelle la planète resterait au-dessus de 1,5 °C est tout aussi importante. Une période prolongée de chaleur intense pourrait déclencher des points de bascule climatiques, entraînant des changements irréversibles dans les systèmes terrestres, comme la fonte des calottes glaciaires ou la dégradation des forêts tropicales.
Qu'est-ce que le dépassement climatique ?
Le "dépassement" (ou "overshoot" en anglais) est un scénario climatique où la température moyenne mondiale dépasse temporairement un objectif spécifique, comme 1,5 °C, avant de redescendre. Ce concept repose sur l'hypothèse que les émissions de gaz à effet de serre ne seront pas réduites assez rapidement pour rester sous la limite, mais que des technologies futures permettront de retirer massivement le CO2 de l'atmosphère pour inverser la tendance.
La faisabilité du retour en arrière
L'idée même d'une redescente des températures après un pic est une hypothèse qui repose sur de nombreuses inconnues. Plusieurs experts ont remis en question cette assurance, soulignant que le climat pourrait ne pas réagir de manière symétrique à la réduction du CO2.
"L'une de mes préoccupations majeures est de savoir si, même après avoir atteint le zéro émission nette, les émissions négatives peuvent réellement produire une baisse de la température. Il pourrait y avoir une asymétrie dans la réponse du système climatique", a expliqué un chercheur.
Cette incertitude est aggravée par les doutes sur l'efficacité des puits de carbone naturels. Les modèles climatiques actuels supposent que les forêts et les océans continueront d'absorber une part importante du CO2, mais leur comportement dans un monde beaucoup plus chaud reste une question ouverte. "Si les puits de carbone sont plus faibles que ce que les modèles prévoient, il sera encore plus difficile de réduire les températures", a précisé un expert des cycles du carbone.
Le défi des technologies CDR
Les technologies d'élimination du dioxyde de carbone (Carbon Dioxide Removal, CDR) sont au cœur des scénarios de dépassement. Cependant, leur déploiement à grande échelle n'a jamais été testé. Les scientifiques s'interrogent sur leur efficacité réelle, leur coût, leur impact sur l'utilisation des terres et de l'eau, ainsi que sur les questions d'équité liées à leur mise en œuvre.
Adaptation et gouvernance dans un monde en surchauffe
Un autre domaine d'incertitude majeur concerne la capacité des sociétés à s'adapter à un climat qui dépasse 1,5 °C. De nombreux plans d'adaptation nationaux et locaux sont conçus pour un réchauffement plafonné à cette limite. Un dépassement les rendrait largement insuffisants.
Des plans d'adaptation à réinventer
"Il y a beaucoup d'endroits dans le monde où les plans d'adaptation ont été faits pour un plafond de 1,5 °C. Le fait est que ces plans devront être modifiés ou probablement redéveloppés", a averti un spécialiste. Ce défi est particulièrement aigu pour les pays disposant de faibles ressources, qui seraient les plus exposés aux impacts tout en ayant le moins de moyens pour revoir leurs stratégies.
La planification d'infrastructures à long terme, comme les ponts ou les systèmes d'alerte précoce, devient extrêmement complexe. Comment concevoir des projets pour un pic de température inconnu suivi d'une éventuelle baisse ? Selon les experts, il n'existe quasiment aucune recherche sur cette question.
Un cadre juridique et politique inexistant
Sur le plan de la gouvernance, le monde n'est pas préparé. Les cadres juridiques et réglementaires actuels, qu'ils soient nationaux ou internationaux, ne sont pas conçus pour gérer un scénario de dépassement. Un expert a soulevé une question fondamentale : "Dans quelle mesure notre architecture juridique et réglementaire actuelle sera-t-elle réellement réactive aux besoins d'un monde en dépassement ?"
De plus, l'engagement politique envers les émissions négatives reste faible. "Nous supposons, dans la science, des trajectoires mondiales devenant négatives en émissions, alors que presque aucun pays ne dit vouloir y aller. C'est peut-être juste une expérience de pensée académique", a noté un participant.
Les limites sociétales face au chaos climatique
Au-delà des limites géophysiques, plusieurs experts ont exprimé leurs craintes quant aux limites de la résilience des sociétés humaines. Un monde confronté aux impacts sévères d'un dépassement climatique (sécheresses, inondations, famines, migrations massives) pourrait-il maintenir la coopération internationale nécessaire pour mettre en œuvre un projet aussi complexe que la réduction des températures mondiales ?
Un chercheur a résumé cette inquiétude : "Je suis convaincu qu'il existe une limite supérieure de dépassement que nous pouvons nous permettre avant que les sociétés humaines ne soient submergées par la tâche de ramener les températures à la baisse."
Cette limite sociétale pourrait être bien inférieure aux limites physiques ou technologiques. Les crises multiples engendrées par le réchauffement pourraient saper la capacité des gouvernements à agir de manière coordonnée. Le risque est que le dépassement devienne un état permanent, car la société aurait perdu les moyens de revenir en arrière.
En conclusion, si le concept de dépassement offre une voie théorique pour maintenir l'objectif de 1,5 °C à long terme, il ouvre une boîte de Pandore d'incertitudes scientifiques, sociales et politiques. La communauté scientifique insiste sur le fait que la priorité absolue reste la réduction drastique et immédiate des émissions pour limiter au maximum l'ampleur et la durée de tout dépassement éventuel.





