Une nouvelle étude quantifie pour la première fois le mouvement global de la biomasse humaine et le compare à celui de l'ensemble du règne animal. Les résultats révèlent une domination sans précédent de l'humanité, dont les déplacements motorisés ont un impact énergétique et écologique majeur, éclipsant même les plus grandes migrations naturelles.
En combinant la masse totale des humains avec les distances qu'ils parcourent chaque année, les chercheurs estiment que le mouvement de la biomasse humaine atteint 4 000 milliards de tonnes-kilomètres par an. Ce chiffre est plus de 40 fois supérieur à celui de tous les mammifères sauvages, oiseaux et arthropodes terrestres réunis.
Points Clés
- Le mouvement de la biomasse humaine (4 000 Gt km/an) est 40 fois supérieur à celui de tous les animaux terrestres sauvages combinés.
- Rien que la marche humaine (600 Gt km/an) dépasse probablement le mouvement total de toute la faune terrestre.
- Depuis 1850, le mouvement humain a été multiplié par 40, tandis que celui des animaux marins a diminué de moitié à cause de la pêche et de la chasse à la baleine.
- Le transport motorisé représente l'essentiel du mouvement humain et consomme environ 300 fois plus d'énergie que celle utilisée par tous les vertébrés terrestres pour se déplacer.
Une nouvelle mesure pour comparer les vivants
Pour évaluer l'activité à l'échelle planétaire, des scientifiques ont développé une nouvelle métrique : le « mouvement de la biomasse ». Le concept est simple : il s'agit de multiplier la masse totale d'un groupe d'organismes par la distance moyenne qu'ils parcourent en un an. L'unité, en gigatonnes-kilomètres par an (Gt km/an), permet de comparer équitablement un éléphant qui parcourt de courtes distances à une fourmi qui en parcourt de longues, ou encore un humain dans sa voiture à une baleine migrant dans l'océan.
Cette approche unifiée offre une perspective nouvelle sur l'empreinte de l'humanité. En synthétisant des centaines d'études et de sources de données, les chercheurs ont pu dresser un tableau global de la mobilité sur Terre, révélant des déséquilibres profonds entre les activités humaines et les cycles naturels.
Qu'est-ce que le mouvement de la biomasse ?
C'est une mesure qui combine deux facteurs : la masse totale d'une espèce ou d'un groupe (par exemple, le poids total de tous les humains) et la distance annuelle parcourue par ses individus. Une baleine de 30 tonnes migrant sur 10 000 km aura un mouvement de biomasse bien plus important qu'un oiseau de 100 grammes parcourant la même distance.
La domination écrasante de l'humanité sur terre
L'analyse montre que le mouvement combiné de tous les mammifères terrestres sauvages, des oiseaux et des arthropodes (insectes, araignées, etc.) est largement inférieur à celui des humains. Les animaux sauvages terrestres génèrent environ 100 Gt km/an de mouvement de biomasse.
En comparaison, l'humanité atteint 4 000 Gt km/an. Ce chiffre est principalement tiré par les transports motorisés. Les voitures et les motos représentent à elles seules environ 65 % de ce total. Les voyages en avion comptent pour 10 %, et les trains pour 5 %.
De manière surprenante, même nos déplacements les plus simples ont un impact majeur. Le mouvement généré par les humains qui marchent est estimé à 600 Gt km/an. Ce seul chiffre est probablement supérieur au mouvement de tous les animaux terrestres sauvages réunis.
Le simple fait de marcher pour les 8 milliards d'humains génère plus de mouvement de biomasse que toutes les migrations et déplacements des éléphants, des loups, des oiseaux et des insectes de la planète combinés.
Les grands animaux, moteurs du monde sauvage
Dans le monde animal, ce sont les grands mammifères qui contribuent le plus au mouvement de biomasse. Bien qu'ils ne représentent que la moitié de la biomasse des mammifères sauvages, les animaux de plus de 50 kg sont responsables de 80 % de leur mouvement total. L'éléphant de savane d'Afrique, à lui seul, compte pour près d'un quart du mouvement de tous les mammifères terrestres.
Un océan en perte de vitesse
Si sur terre l'activité humaine domine, les océans abritent encore les plus grands mouvements de biomasse du monde vivant. La migration verticale quotidienne du zooplancton et des poissons des profondeurs, qui montent et descendent dans la colonne d'eau sur environ un kilomètre, génère à elle seule 1 000 Gt km/an. C'est un mouvement comparable à celui de tous les humains marchant ou faisant du vélo.
Cependant, ce dynamisme marin est en déclin. Depuis 1850, le mouvement global de la biomasse dans les océans a été réduit de plus de moitié, passant d'environ 80 000 à 30 000 Gt km/an. Cette chute dramatique est principalement due à la pêche industrielle et à la chasse à la baleine, qui ont décimé les populations de grands animaux marins, ceux qui se déplacent le plus.
Pendant que le mouvement animal dans les océans diminuait de moitié, celui de l'humanité a été multiplié par 40, passant d'un système basé sur la marche à une mobilité dominée par les véhicules motorisés.
Le coût énergétique de nos déplacements
Le mouvement a un coût énergétique. L'étude a également calculé l'énergie nécessaire pour tous ces déplacements. La puissance totale utilisée par tous les mammifères terrestres sauvages pour se mouvoir est d'environ 2 gigawatts, soit l'équivalent de la production d'une seule grande centrale électrique.
En revanche, l'énergie consommée pour les transports humains s'élève à environ 30 000 térawattheures par an. C'est environ 300 fois plus que l'énergie dépensée par tous les vertébrés terrestres et 100 fois plus que celle des mammifères marins.
Cette différence s'explique par l'inefficacité de nos modes de transport. Un humain qui marche dépense environ 3 joules pour déplacer un kilogramme de son corps sur un mètre. Pour une voiture, si l'on ne considère que la masse du passager, ce coût énergétique est dix fois plus élevé, atteignant 30 joules par kilogramme et par mètre, en raison du poids du véhicule à déplacer.
Le poids de nos véhicules
Au-delà des passagers, la masse des véhicules eux-mêmes représente un mouvement colossal. Le déplacement des 1,3 milliard de voitures sur la planète génère environ 40 000 Gt km/an, un chiffre comparable au mouvement de biomasse de toute la vie sur Terre.
Une nouvelle perspective sur l'Anthropocène
Cette quantification du mouvement de biomasse offre un nouvel outil pour mesurer l'ampleur de l'impact humain sur la planète. Elle met en évidence que, bien que la biomasse totale des animaux sauvages terrestres soit dix fois supérieure à celle des humains, notre activité et notre mobilité dépassent de loin les leurs.
Les migrations animales emblématiques, comme celles des gnous dans le Serengeti, sont éclipsées par les déplacements quotidiens des humains pour se rendre au travail. Cette étude souligne l'échelle à laquelle les infrastructures et la consommation d'énergie humaines ont reconfiguré les flux de matière et d'énergie sur la planète.
Ces conclusions appellent à une meilleure compréhension des conséquences écologiques de notre mobilité. En se concentrant sur les éléments quantitativement dominants, la recherche future pourra mieux évaluer comment les perturbations humaines affectent les schémas de déplacement des animaux et, par conséquent, des processus vitaux comme le cycle des nutriments et les dépenses énergétiques à l'échelle mondiale.





