Pendant longtemps, les scientifiques ont considéré l'érosion lente des roches comme le principal thermostat de la Terre, un processus régulant le climat sur des millions d'années. Cependant, de nouvelles recherches révèlent un mécanisme bien plus puissant et complexe, caché au cœur des océans, capable de provoquer des refroidissements climatiques extrêmes et de déclencher des ères glaciaires.
Une équipe de chercheurs a développé un modèle climatique avancé qui intègre les interactions entre les nutriments marins, l'oxygène et le carbone. Leurs résultats suggèrent que ce système peut non seulement stabiliser le climat, mais aussi le faire basculer violemment, expliquant ainsi certains des changements climatiques les plus radicaux de l'histoire de notre planète.
Points Clés
- Un nouveau modèle climatique révèle un puissant mécanisme de régulation du climat basé dans les océans.
- Ce processus implique une boucle de rétroaction entre les nutriments, la croissance d'algues et les niveaux d'oxygène.
- Ce mécanisme océanique peut entraîner un refroidissement excessif, capable de déclencher une ère glaciaire sur des centaines de milliers d'années.
- Cette découverte aide à expliquer les périodes de glaciation extrêmes dans le passé lointain de la Terre, que l'érosion des roches seule ne pouvait justifier.
Au-delà de l'érosion des roches : le thermostat traditionnel
Depuis des décennies, la théorie dominante pour expliquer la stabilité climatique de la Terre sur le long terme repose sur l'altération des silicates. Ce processus naturel fonctionne comme un régulateur lent mais constant du dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique.
Lorsque la pluie tombe, elle absorbe du CO2 de l'air, formant une solution légèrement acide. Cette eau dissout progressivement les roches silicatées exposées à la surface. Les éléments chimiques libérés, notamment le carbone et le calcium, sont ensuite transportés par les rivières jusqu'aux océans.
Un processus géologique fondamental
Une fois dans l'océan, ces éléments sont utilisés par les organismes marins pour construire leurs coquilles et squelettes. À leur mort, ces restes s'accumulent au fond de la mer, formant des sédiments calcaires. Ce mécanisme piège efficacement le carbone dans les fonds marins pour des centaines de millions d'années, le retirant de l'atmosphère.
Ce thermostat naturel possède une boucle de rétroaction stabilisatrice. « Quand la planète se réchauffe, les roches s'altèrent plus vite et absorbent plus de CO2, permettant à la Terre de se refroidir à nouveau », explique Dominik Hülse, l'un des auteurs de l'étude. Cependant, ce modèle présente des limites. Il ne parvient pas à expliquer pourquoi la planète a connu des épisodes de glaciation si extrêmes qu'elle était presque entièrement recouverte de glace, de la Terre « boule de neige ».
Le rôle caché des océans : une boucle de rétroaction puissante
Les chercheurs ont identifié un autre acteur majeur dans la régulation climatique : l'océan et sa capacité à stocker le carbone. Leurs travaux montrent qu'une boucle de rétroaction complexe impliquant les nutriments marins peut avoir des effets spectaculaires sur le climat.
Le processus commence avec le réchauffement de la planète. Une hausse des températures entraîne une augmentation du ruissellement des nutriments, comme le phosphore, des continents vers les océans. Ces nutriments agissent comme un engrais pour le phytoplancton, provoquant une prolifération massive d'algues.
Ces algues absorbent d'énormes quantités de CO2 atmosphérique par photosynthèse. Lorsqu'elles meurent, elles coulent vers les fonds marins, emportant avec elles le carbone qu'elles ont capturé. Ce phénomène, connu sous le nom de « pompe biologique à carbone », contribue à refroidir la planète.
L'effet domino du manque d'oxygène
La décomposition de cette grande quantité de matière organique au fond de l'océan consomme beaucoup d'oxygène. Dans des conditions de faible oxygénation, un changement chimique crucial se produit : le phosphore contenu dans les sédiments a tendance à être recyclé et relâché dans l'eau, plutôt que d'y être enfoui définitivement.
Cette libération de phosphore crée une puissante boucle de rétroaction positive : plus de nutriments mènent à plus d'algues, qui en se décomposant consomment plus d'oxygène, ce qui libère encore plus de nutriments. Ce cycle amplifie massivement le piégeage du carbone dans les sédiments marins, entraînant un refroidissement planétaire significatif.
Un modèle climatique qui prédit des refroidissements extrêmes
Pour tester cette hypothèse, Dominik Hülse et son collègue Andy Ridgwell ont développé un modèle informatique sophistiqué du système terrestre. Contrairement aux modèles précédents, le leur intègre ces interactions complexes entre le cycle des nutriments, les niveaux d'oxygène et le climat.
Les simulations ont révélé des résultats surprenants. « Ce modèle plus complet du système terrestre ne stabilise pas toujours le climat progressivement après une phase de réchauffement. Il peut plutôt surcompenser et refroidir la Terre bien en dessous de sa température initiale », précise Dominik Hülse.
« Dans le modèle informatique de l'étude, cela peut déclencher une ère glaciaire. Avec la seule altération des silicates, nous étions incapables de simuler des valeurs aussi extrêmes », ajoute le chercheur.
Ce phénomène de « dépassement » du refroidissement, bien que s'étalant sur des centaines de milliers d'années, offre une explication plausible aux épisodes glaciaires sévères du passé géologique de la Terre. L'étude suggère que cette boucle de rétroaction était particulièrement forte lorsque l'atmosphère contenait moins d'oxygène, comme c'était le cas dans le passé lointain.
Quelles implications pour notre climat futur ?
Alors que les activités humaines continuent d'injecter des quantités massives de CO2 dans l'atmosphère, la planète se réchauffe à un rythme sans précédent. Selon le modèle des scientifiques, ce réchauffement pourrait, à très long terme, activer cette même boucle de rétroaction océanique et conduire à un futur refroidissement.
Cependant, les chercheurs tempèrent cette perspective. L'atmosphère actuelle contient beaucoup plus d'oxygène que par le passé, ce qui devrait atténuer la puissance de la boucle de rétroaction des nutriments. Le prochain événement de refroidissement serait donc probablement plus modéré.
Surtout, cette régulation naturelle opère sur des échelles de temps géologiques, bien trop lentes pour contrer la crise climatique actuelle. Andy Ridgwell met en garde contre toute complaisance.
« En fin de compte, est-ce que cela importe vraiment si le début de la prochaine ère glaciaire se produit dans 50 000, 100 000 ou 200 000 ans ? Nous devons nous concentrer maintenant sur la limitation du réchauffement en cours. Le fait que la Terre se refroidira naturellement n'arrivera pas assez vite pour nous aider. »
La priorité absolue reste donc la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les recherches futures, soutenues par le pôle d'excellence MARUM, utiliseront ce modèle pour explorer comment les fonds marins ont pu jouer un rôle dans la récupération parfois rapide de la Terre après des changements climatiques passés.





