CBS News, reconnu depuis plusieurs années comme le leader des chaînes de télévision nationales américaines en matière de couverture du changement climatique, pourrait connaître un virage éditorial majeur. L'arrivée de Bari Weiss, fondatrice du média en ligne The Free Press, à un poste de direction clé suscite des interrogations au sein de la communauté journalistique et scientifique, en raison des positions souvent critiques de sa publication sur la science du climat.
Cette nomination intervient dans un contexte de restructuration, marqué par des licenciements au sein de l'équipe dédiée au climat et des rumeurs sur le recrutement de personnalités médiatiques conservatrices. Ces changements pourraient remettre en question le statut de leader de CBS sur l'un des enjeux les plus importants de notre époque.
Points Clés
- Bari Weiss, fondatrice de The Free Press, a été nommée à un poste de direction éditoriale chez CBS News.
- The Free Press a publié de nombreux articles minimisant la science du climat et critiquant l'activisme environnemental.
- CBS News a licencié la majorité de son équipe de cinq personnes dédiée à la couverture climatique.
- Des rumeurs persistantes évoquent l'arrivée de Bret Baier, présentateur de Fox News, à la tête du journal du soir de CBS.
- Pendant quatre ans, CBS a dominé les autres chaînes nationales en termes de temps d'antenne consacré au climat.
Un nouveau leadership et des priorités en évolution
L'acquisition de The Free Press par Paramount Skydance a propulsé sa fondatrice, Bari Weiss, au poste nouvellement créé de rédactrice en chef de CBS News. Cette position lui confère une influence significative sur l'orientation éditoriale de la chaîne, y compris sur des sujets aussi cruciaux que la crise climatique.
Ce changement de direction coïncide avec une vague de licenciements au sein de la chaîne. David Ellison, le nouveau directeur général, a annoncé dans une note interne que l'entreprise « éliminait progressivement les postes qui ne sont plus alignés sur nos priorités en évolution ». Parmi les personnes concernées figure la majorité de l'équipe spécialisée dans la couverture du climat, une unité qui avait contribué à faire de CBS une référence en la matière.
En parallèle, des informations rapportent l'intérêt de Bari Weiss pour Bret Baier, un présentateur vedette de Fox News, pour potentiellement animer le prestigieux journal du soir, le CBS Evening News. Cette éventualité est scrutée de près, étant donné le traitement souvent sceptique du changement climatique sur la chaîne d'où il provient.
La ligne éditoriale de The Free Press en question
Pour comprendre les inquiétudes actuelles, il est nécessaire d'examiner la manière dont le changement climatique a été traité par The Free Press sous la direction de Bari Weiss. La publication s'est distinguée par la mise en avant de voix dissidentes et de perspectives qui remettent en cause le consensus scientifique.
Plateforme pour les voix contraires
The Free Press a régulièrement donné la parole à des personnalités comme Steven Koonin, un scientifique connu pour ses positions climato-sceptiques. Dans une interview, la publication lui a permis de minimiser le lien établi par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) entre le réchauffement global et les événements météorologiques extrêmes. Ces affirmations sont similaires à celles qu'il a tenues sur Fox News, où il a qualifié les catastrophes naturelles de simples « phénomènes météorologiques » sans tendance observable sur le long terme.
La science de l'attribution
Contrairement aux affirmations de Steven Koonin, les scientifiques du climat sont capables depuis des années d'estimer dans quelle mesure le changement climatique influence un événement météorologique extrême. Par exemple, une étude a conclu que la vague de chaleur de 2021 dans le nord-ouest du Pacifique aurait été « pratiquement impossible » sans le réchauffement climatique.
Dans un autre article, The Free Press a utilisé une interview de Koonin pour suggérer que le président Joe Biden et les scientifiques accusaient à tort le changement climatique d'être la cause des incendies en Californie, alors qu'ils le décrivent comme un facteur aggravant leur intensité.
Remise en cause de la recherche scientifique
En 2023, la publication a fait grand bruit avec un article de Patrick T. Brown, un chercheur du Breakthrough Institute, intitulé : « J'ai omis toute la vérité pour faire publier mon article sur le changement climatique ». L'auteur y affirmait avoir délibérément simplifié sa recherche sur le lien entre réchauffement et incendies pour s'assurer une publication dans une revue prestigieuse, accusant ainsi le processus scientifique de se concentrer de manière excessive sur le climat.
Cette démarche a provoqué une vive réaction de la part de la communauté scientifique et de la rédactrice en chef de la revue Nature, qui ont dénoncé une manœuvre visant à discréditer la recherche climatique.
Cette stratégie rappelle une rhétorique ancienne des médias conservateurs, accusant les climatologues de « manipuler les données » pour créer artificiellement une crise.
Critique de l'action climatique et de l'activisme
The Free Press a également publié des articles qui présentent les efforts pour lutter contre le changement climatique et les militants écologistes sous un jour négatif.
Un article intitulé « Tout le monde se gèle ! C'est la police du climat » a utilisé des exemples isolés, comme une proposition de limiter l'usage des démarreurs à distance à Ottawa, pour dépeindre le mouvement climatique comme radical et déconnecté des réalités. Cette approche, qui consiste à sélectionner des anecdotes pour discréditer un mouvement plus large, est une technique fréquemment employée par des médias comme Fox News.
Le fonds de 20 milliards de dollars de l'EPA
Un autre article de The Free Press a attaqué un programme de 20 milliards de dollars de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) destiné à financer des projets climatiques, le qualifiant de « caisse noire pour les organisations progressistes ». L'article reprenait l'argumentaire de l'administrateur de l'EPA, Lee Zeldin, et la rhétorique de Fox News, suggérant que les fonds avaient été distribués à la hâte avant la fin du mandat de Joe Biden. Cependant, ces fonds ont été légalement alloués par l'Inflation Reduction Act en 2022 et attribués des mois avant les élections, selon des procédures établies.
La publication a aussi servi de tribune à d'anciens militants pour critiquer leurs mouvements. Une ex-« influenceuse du développement durable » y a exprimé ses regrets d'avoir soutenu la protestation de Standing Rock contre un oléoduc, expliquant que sa vision avait changé après avoir lu des auteurs comme Steven Koonin et Michael Shellenberger, figures bien connues des cercles climato-sceptiques. Un autre article, écrit par un ancien membre d'Extinction Rebellion, décrivait le groupe d'action directe comme une « secte ».
Quel avenir pour la couverture climatique de CBS ?
Pendant au moins quatre ans, CBS s'est imposé comme un leader incontesté. En 2024, la chaîne a représenté à elle seule 50 % de toute la couverture climatique des trois grands réseaux de diffusion nationaux, avec 381 minutes sur un total de 771.
CBS a également été en tête pour le nombre de scientifiques invités à l'antenne et pour le nombre de reportages consacrés aux solutions climatiques. Ce travail journalistique a fourni un contrepoids important à la désinformation qui circule sur d'autres plateformes.
L'arrivée potentielle de personnalités comme Bret Baier, dont l'émission Special Report sur Fox News a, entre 2009 et mai 2021, diffusé des informations erronées ou trompeuses dans plus de 87 % de ses segments sur le climat, marque une rupture potentielle. Si CBS adopte une approche similaire à celle de The Free Press ou des médias que la nouvelle direction semble vouloir attirer, le réseau risque de perdre sa crédibilité et de devenir un simple relais des discours qui sèment le doute et retardent l'action.
Alors que les modes de consommation de l'information évoluent, les médias traditionnels comme CBS jouent toujours un rôle fondamental dans l'écosystème médiatique. Leurs reportages sur les événements météorologiques extrêmes, les politiques climatiques et les découvertes scientifiques influencent l'ensemble du débat public. Un changement de ligne éditoriale aurait donc des conséquences bien au-delà de la seule chaîne.





