Le marché volontaire du carbone, un outil essentiel pour le financement de projets environnementaux, est confronté à un obstacle majeur : la lenteur des processus de vérification. Les développeurs de projets attendent parfois plus d'un an pour que leurs crédits carbone soient émis, ce qui crée une incertitude financière et freine l'innovation dans le secteur.
Des entreprises comme Boomitra, qui œuvre dans l'agriculture régénératrice, subissent directement ces délais. Pendant ce temps, de nouveaux acteurs technologiques émergent, proposant des solutions numériques pour accélérer la validation et redonner confiance à un marché en pleine mutation.
Le goulot d'étranglement de la vérification
Le processus de suivi, de rapport et de vérification (MRV) est au cœur du marché du carbone. Il garantit que chaque crédit vendu correspond à une réduction réelle des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, cette procédure reste largement manuelle, reposant sur des échantillons de terrain, des tableurs et des échanges d'e-mails.
Pour les développeurs, cette lenteur est un problème critique. Aadith Moorthy, PDG de Boomitra, a expliqué que son projet de restauration des prairies dans le nord du Mexique, lancé fin 2022, attend toujours sa première émission de crédits malgré son enregistrement auprès de Verra en février 2024.
« Nous ne pouvons pas prédire quand les revenus arriveront. Cela affecte nos projections et notre capacité à opérer. » - Aadith Moorthy, PDG de Boomitra
Cette incertitude rend difficile la planification financière et la pérennité des projets. De nombreuses startups du secteur ont dû cesser leurs activités faute de revenus prévisibles, incapables de survivre aux longs cycles de validation.
Les géants du secteur en pleine transformation
Verra, l'un des plus grands registres de crédits carbone au monde, est conscient de ces défis. L'organisation a commencé à moderniser ses systèmes pour traiter les informations plus efficacement. Elle a lancé le "Project Hub", une plateforme permettant aux développeurs de suivre l'état de leur projet en temps réel.
Verra pilote également un système de MRV numérique et a réorganisé ses évaluations de projets selon une approche basée sur les risques. Selon un porte-parole, cette dernière mesure a permis d'accélérer les examens d'enregistrement de 60 % depuis fin 2024.
Un contexte économique difficile pour Verra
Malgré ces efforts, Verra a traversé une période difficile. Ses revenus ont chuté de 40,5 millions de dollars en 2021 à 29,8 millions en 2023, tandis que ses dépenses ont plus que doublé. Cette situation a conduit à une réduction d'environ 25 % de ses effectifs en octobre 2023. L'organisation envisage désormais d'introduire des frais pour les développeurs souhaitant accélérer la validation de leurs projets.
Cette crise a été aggravée par des critiques médiatiques et scientifiques début 2023, accusant plusieurs projets certifiés par Verra de vendre des crédits ne représentant pas de réelles réductions d'émissions. Ces controverses ont ébranlé la confiance et impacté l'ensemble du marché.
L'agilité des nouveaux registres technologiques
Face aux difficultés des acteurs établis, de nouveaux registres plus agiles gagnent du terrain. C'est le cas d'Isometric, spécialisé dans les projets d'élimination du dioxyde de carbone. Lancée en 2023, cette plateforme a misé dès le départ sur la technologie.
Leur outil, nommé "Certify", centralise le processus de MRV pour les développeurs, les auditeurs et le registre lui-même, permettant un transfert automatique des données. Depuis septembre, Isometric utilise même l'intelligence artificielle pour détecter les anomalies dans les données soumises.
Des résultats concrets et rapides
Le développeur Vaulted Deep, qui enfouit des déchets organiques pour éviter les émissions de CO2, reçoit des crédits d'Isometric sur une base mensuelle depuis décembre 2023. « Au début, il fallait trois à quatre mois pour tout faire vérifier. Depuis un an, ils émettent des crédits régulièrement chaque mois », a déclaré Ola Sitarska, directrice de la technologie chez Isometric.
Bien qu'Isometric gère un volume bien inférieur à celui de Verra (environ 31 000 crédits émis depuis sa création contre plus de 100 millions pour Verra en 2024), son modèle démontre le potentiel de la numérisation pour fluidifier le marché.
L'innovation technologique comme moteur du changement
L'utilisation de la technologie pour accélérer le MRV ne se limite pas aux registres. Les développeurs de projets eux-mêmes adoptent des solutions innovantes. Pour son projet de 2 millions d'acres au Mexique, Boomitra combine des échantillons de sol traditionnels avec des données de télédétection analysées par un algorithme d'apprentissage automatique.
Cette approche hybride réduit considérablement le besoin en prélèvements physiques. « Au lieu de prélever 50 000 échantillons tous les cinq ans, nous en prenons 500 à 1 000 tous les deux ou trois ans », précise Aadith Moorthy. Cette efficacité a permis à Boomitra de signer des accords de vente à terme, assurant une certaine stabilité financière malgré les retards d'émission.
Cependant, l'adoption de ces technologies reste fragmentée. Selon Evan Coleman, chercheur au MIT, le principal obstacle est une approche en silo. « Beaucoup de bonnes idées émergent dans l'écosystème des startups, mais il est très difficile pour un scientifique comme moi d'évaluer leurs performances de manière objective », souligne-t-il. Il estime que le secteur n'en est qu'à ses débuts dans l'intégration transparente de ces nouvelles méthodes de mesure.
Malgré les défis, le marché montre des signes de résilience. La rareté de nouveaux crédits de haute qualité a fait grimper les prix pour des projets comme la gestion forestière améliorée et l'agriculture régénératrice. Même les projets de conservation forestière REDD+, autrefois critiqués, regagnent en popularité, signalant un besoin persistant pour des solutions de financement climatique efficaces et, surtout, rapides.





