Une nouvelle étude menée par des chercheurs de l'Université d'État de l'Oregon révèle une faille dans le système des crédits carbone. L'analyse de projets forestiers montre que 10 % d'entre eux pourraient en réalité contribuer au réchauffement climatique. La cause est un phénomène souvent négligé : l'albédo, soit la capacité d'une surface à réfléchir la lumière du soleil.
Cette recherche, publiée dans la revue Nature Communications, met en lumière la nécessité d'intégrer cet effet dans les protocoles de certification pour garantir que les investissements climatiques atteignent bien leur objectif de refroidissement de la planète.
Points Clés
- Une étude a révélé que 10 % des projets de reboisement financés par des crédits carbone pourraient avoir un effet de réchauffement net.
- Ce phénomène est dû aux changements d'albédo, où des forêts plus sombres absorbent plus de chaleur solaire.
- Les chercheurs recommandent d'intégrer la mesure de l'albédo dans les protocoles de certification des crédits carbone.
- Malgré cela, la majorité des projets analysés conservent un bénéfice climatique, bien que parfois réduit.
Une analyse à grande échelle du marché volontaire du carbone
Des scientifiques de l'Université d'État de l'Oregon, en collaboration avec l'Université Clark et The Nature Conservancy, ont examiné 172 projets de boisement, de reboisement et de revégétalisation (communément appelés ARR). Ces projets, répartis sur cinq continents, sont financés via le marché volontaire du carbone.
Sur ce marché décentralisé, des entreprises, des organisations et des particuliers achètent des crédits carbone pour compenser leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Un crédit carbone représente une tonne de dioxyde de carbone (CO2) retirée de l'atmosphère.
Les 172 projets étudiés sont conçus pour séquestrer près de 800 millions de tonnes de CO2 au cours du siècle prochain. Cependant, les protocoles actuels se concentrent presque exclusivement sur le carbone, sans tenir compte d'autres facteurs qui influencent le climat.
L'albédo, un facteur climatique crucial mais ignoré
L'un des facteurs les plus importants omis dans les calculs est l'albédo. Il s'agit de la mesure de la réflectivité d'une surface. Une surface claire, comme la neige, a un albédo élevé et réfléchit une grande partie de l'énergie solaire. Une surface sombre, comme une forêt dense, a un albédo faible et absorbe plus d'énergie, ce qui la réchauffe.
Qu'est-ce que l'albédo ?
L'albédo est un coefficient qui exprime la part de l'énergie solaire réfléchie par une surface. Il varie de 0 (un corps noir parfait qui absorbe tout) à 1 (un miroir parfait qui réfléchit tout). Planter des arbres sur des terres plus claires comme des prairies peut assombrir la surface, diminuer l'albédo et ainsi augmenter l'absorption de chaleur, créant un effet de réchauffement local qui peut contrebalancer une partie du bénéfice lié au stockage du carbone.
Lorsqu'un projet de boisement remplace une prairie ou une savane par une forêt, la surface de la Terre devient plus sombre. Bien que les arbres capturent efficacement le CO2, cette nouvelle forêt absorbe également davantage de rayonnement solaire. Selon l'étude, cet effet de réchauffement peut, dans certains cas, être plus important que l'effet de refroidissement lié à la séquestration du carbone.
"Les crédits carbone sont créés via des protocoles établis qui visent à garantir que chaque crédit correspond à un réel bénéfice climatique. Mais jusqu'à présent, ces protocoles n'ont pris en compte que les gaz à effet de serre, en omettant largement les facteurs non gazeux qui peuvent également avoir un impact important sur le climat", a déclaré Lynn Riley, auteure principale de l'étude.
Des résultats contrastés aux implications majeures
L'analyse des chercheurs a produit des chiffres frappants qui soulignent la complexité de l'évaluation des projets climatiques. Les données révèlent une grande variabilité dans l'impact de l'albédo selon les projets et leur localisation géographique.
Les chiffres clés de l'étude
Les scientifiques ont calculé une "déduction d'albédo" pour chaque projet, c'est-à-dire la part du bénéfice climatique annulée par le changement de réflectivité du sol.
- La déduction d'albédo médiane pour les 172 projets était de 18 %. Cela signifie qu'en moyenne, près d'un cinquième du bénéfice climatique attendu était annulé.
- Un quart des projets (25 %) présentaient des déductions d'albédo de 50 % ou plus, réduisant de moitié leur efficacité climatique.
- Plus inquiétant encore, 12 % des projets voyaient leur bénéfice carbone entièrement annulé par l'effet de réchauffement de l'albédo.
- En incluant les projets où la déduction était supérieure à 100 %, ce sont 10 % des projets qui contribuaient à un réchauffement net.
Des bénéfices climatiques parfois sous-estimés
À l'inverse, l'étude a révélé que 9 % des projets, principalement situés dans les régions tropicales et subtropicales, généraient un bénéfice d'albédo. Dans ces cas, le reboisement a rendu la surface plus réfléchissante (par exemple, en remplaçant des arbustes sombres par des savanes arborées), ajoutant un effet de refroidissement supplémentaire à celui de la séquestration du carbone. Ces projets sont donc plus efficaces que ce que leur certification actuelle indique.
Ces résultats montrent que l'emplacement d'un projet de reboisement est un facteur déterminant pour son impact climatique global. Les projets dans les hautes latitudes, où la couverture neigeuse peut être remplacée par des forêts sombres, sont particulièrement à risque d'avoir un effet de réchauffement.
Vers une meilleure certification des projets carbone
Les auteurs de l'étude ne condamnent pas le marché du carbone, mais appellent à son amélioration. Ils soulignent que les outils et les données nécessaires pour intégrer l'albédo dans les évaluations existent déjà et sont accessibles au public.
"Ce qui est vraiment excitant, c'est que nous disposons de données indépendantes et accessibles avec une couverture mondiale pour commencer à prévenir cela dès aujourd'hui", a expliqué Lynn Riley. "C'est quelque chose que les acteurs du marché — développeurs de projets, acheteurs, agences de notation, décideurs politiques — pourraient commencer à intégrer de manière relativement simple et transparente dans leurs processus."
Selon Jacob Bukoski, co-auteur de l'étude, le marché du carbone a su évoluer par le passé pour intégrer les meilleures connaissances scientifiques. L'ajout de l'albédo serait une nouvelle étape logique pour renforcer la crédibilité et l'efficacité de ces outils financiers.
L'avenir des solutions basées sur la nature
L'étude suggère que d'autres facteurs non liés au carbone, comme l'évapotranspiration (le processus par lequel les plantes libèrent de la vapeur d'eau, refroidissant l'atmosphère) et la durée de la couverture neigeuse, pourraient également être pris en compte à l'avenir. Une comptabilité plus holistique permettrait d'orienter les financements vers les projets ayant le plus grand impact positif sur le climat.
"Lorsque les projets du marché du carbone sont conçus avec intégrité et éclairés par les meilleures données scientifiques disponibles, ils constituent un outil puissant et nécessaire pour atténuer le changement climatique", a commenté Susan Cook-Patton de The Nature Conservancy. "Cette étude contribue à l'ensemble croissant de connaissances scientifiques qui aident à garantir que le marché volontaire du carbone respecte des normes rigoureuses."
En conclusion, si la plantation d'arbres reste une stratégie essentielle dans la lutte contre le changement climatique, cette recherche démontre que tous les projets ne se valent pas. Une évaluation plus complète, incluant l'albédo, est indispensable pour s'assurer que les efforts de reboisement contribuent véritablement à refroidir la planète.





