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Les banques européennes face aux risques écologiques et climatiques

Une étude révèle que les banques de la zone euro sont très vulnérables à la dégradation des écosystèmes et au changement climatique, avec 72% des entreprises dépendantes de la nature et 60% des prêts

Émilie Dubois
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Émilie Dubois

Émilie Dubois est une journaliste spécialisée dans les marchés de l'énergie et la politique environnementale. Avec plus d'une décennie d'expérience, elle analyse les tendances mondiales des combustibles fossiles, les énergies renouvelables et les impacts du changement climatique sur l'économie.

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Les banques européennes face aux risques écologiques et climatiques

Une nouvelle analyse révèle que les banques de la zone euro sont fortement exposées aux risques liés à la dégradation des écosystèmes et au changement climatique. Près de 72 % des entreprises étudiées dépendent fortement d'au moins un service écosystémique, et 60 % des prêts sont accordés à des entreprises confrontées à des besoins de protection contre les inondations non satisfaits. Ces chiffres soulignent une vulnérabilité financière systémique qui nécessite une approche intégrée de la gestion des risques.

Points Clés

  • 72 % des entreprises de la zone euro dépendent fortement des services écosystémiques.
  • 100 banques sont responsables de 87 % de l'empreinte biodiversité totale du système bancaire de la zone euro.
  • 60 % des prêts sont exposés à des entreprises manquant de protection contre les inondations.
  • Les secteurs de l'énergie, de l'agriculture et de l'industrie manufacturière sont les plus dépendants.
  • Les impacts sur la biodiversité s'étendent au-delà des frontières de la zone euro via les chaînes d'approvisionnement.

La dépendance économique aux services écosystémiques

L'économie et le système financier entretiennent une relation complexe avec la nature. Ils en dépendent pour leurs activités tout en l'affectant. Cette interdépendance crée des risques liés à la nature, amplifiés par la perte de biodiversité et la dégradation des services écosystémiques. Une étude menée auprès de 2 500 banques et 4,2 millions d'entreprises dans la zone euro met en lumière cette vulnérabilité.

Les services écosystémiques (SE) sont essentiels au bien-être humain et à la prospérité économique. Cependant, l'humanité n'a pas réussi à gérer la nature de manière durable. La croissance économique et démographique rapide des dernières décennies a accru la pression, entraînant une perte de biodiversité et une dégradation des écosystèmes. Ces tendances menacent la capacité des écosystèmes à fournir les services dont nous dépendons.

Statistique Clé

Plus de la moitié du PIB mondial dépend modérément ou fortement des services écosystémiques. La perte de six services écosystémiques pourrait entraîner une perte de 2,7 billions d'euros du PIB réel mondial d'ici 2030, et jusqu'à 9,8 billions d'euros d'ici 2050.

Les secteurs économiques dépendent directement ou indirectement des écosystèmes, notamment via leurs chaînes d'approvisionnement. L'agriculture, la foresterie, la pêche, la construction et la production d'énergie sont parmi les secteurs les plus directement dépendants. Par exemple, l'agriculture dépend fortement de services de régulation et d'approvisionnement comme la pollinisation, la fertilité des sols et la disponibilité de l'eau de surface.

Le rôle des banques et l'empreinte biodiversité

Les banques jouent un rôle crucial en accordant des prêts aux entreprises, facilitant ainsi leurs opérations et le développement économique. Elles ont donc une relation indirecte avec la nature. La dégradation environnementale peut perturber les processus de production des entreprises, réduisant leurs bénéfices et affectant leur solvabilité. Cela expose les banques à des pertes sur leurs portefeuilles de prêts.

En même temps, les activités de prêt des banques peuvent soutenir des secteurs qui contribuent à la dégradation des écosystèmes. La Banque des Pays-Bas a constaté que 36 % des portefeuilles de ses institutions financières dépendent fortement des services écosystémiques. Elles ont également contribué à hauteur de 79 milliards d'euros en 2019 au financement d'entreprises impliquées dans des controverses environnementales mondiales.

« La dégradation des écosystèmes et la perte de biodiversité peuvent poser des risques pour le système financier en affectant les processus de production des entreprises et, par conséquent, en altérant leur capacité à rembourser leurs dettes. »

La Banque de France a révélé que 42 % des titres détenus par les institutions financières françaises proviennent d'entreprises fortement dépendantes d'au moins un service écosystémique. L'empreinte biodiversité terrestre associée à ces titres représente au moins 13 millions d'hectares de nature vierge.

Contexte des Risques Composés

Les secteurs économiques et les banques sont également exposés aux risques liés au climat. La perte de services écosystémiques et les aléas climatiques peuvent se combiner, amplifiant les impacts négatifs sur l'économie et la stabilité financière. Comprendre ces effets composés est essentiel pour une gestion intégrée des risques.

L'étude a quantifié la dépendance de l'économie de la zone euro aux services écosystémiques en mesurant la reliance des entreprises sur divers services. Elle a utilisé le jeu de données ENCORE (Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure). Les exemples incluent l'approvisionnement en nourriture et en fibres, la protection contre les tempêtes et les inondations, la régulation climatique et l'approvisionnement en eau douce.

Dépendance et impacts sur la biodiversité dans la zone euro

La dépendance totale des activités économiques à 21 services écosystémiques varie considérablement selon les secteurs. La production d'énergie, l'agriculture, la foresterie et la pêche présentent la dépendance la plus élevée. Viennent ensuite l'industrie manufacturière, les transports et le stockage, l'exploitation minière et les activités immobilières.

Environ 72 % des entreprises de la zone euro, soit près de 3 millions d'entités, montrent un niveau élevé de dépendance à au moins un service écosystémique. En cas de dégradation des écosystèmes, les processus de production dépendants seraient gravement perturbés, mettant directement en péril la viabilité financière de ces entreprises.

  • L'approvisionnement en eau de surface et souterraine est le service écosystémique le plus pertinent, notamment pour l'agriculture, l'industrie manufacturière et la production d'énergie.
  • La stabilisation des masses, le contrôle de l'érosion, la protection contre les inondations et les tempêtes, ainsi que la régulation climatique sont également cruciaux.
  • Ces services sont principalement fournis par la couverture végétale, protégeant les écosystèmes terrestres, côtiers et marins.

Une part importante de cette dépendance provient des chaînes d'approvisionnement mondiales. Pour évaluer cette dynamique, la recherche a utilisé une base de données entrées-sorties multi-régionale étendue sur l'environnement (EE-MRIO). Cela a permis de déterminer la dépendance des pays aux services écosystémiques en dehors de la zone euro. Les entreprises dépendent majoritairement des services écosystémiques en Amérique du Nord et en Asie via leurs chaînes d'approvisionnement.

Dépendance des Prêts Bancaires

Environ 75 % des prêts accordés aux entreprises de la zone euro, soit près de 3,2 billions d'euros, présentent un niveau élevé de dépendance à au moins un service écosystémique. Les banques en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne ont accordé les volumes de prêts les plus importants.

Les secteurs financés par les banques de la zone euro qui ont le plus grand impact sur la biodiversité sont l'industrie manufacturière, l'agriculture et la production d'électricité. L'empreinte biodiversité totale est estimée à une perte de plus de 580 millions d'hectares d'habitats vierges à l'échelle mondiale, soit environ 60 % de la superficie terrestre européenne.

L'impact le plus important est observé dans la zone euro, où les activités économiques ont lieu. Cependant, l'économie de la zone euro est responsable d'impacts substantiels sur d'autres continents via la dépendance de la chaîne d'approvisionnement. Des impacts relativement élevés en Asie et en Afrique sont attribués à la forte dépendance à l'approvisionnement en produits agricoles, miniers et manufacturés de ces continents.

L'exposition aux risques climatiques et naturels

Les activités économiques de la zone euro dépendent fortement des services écosystémiques et exercent des impacts substantiels sur la biodiversité. Cette relation crée un risque élevé pour l'économie et les banques de la zone euro, car la perte de biodiversité a des conséquences négatives sur le fonctionnement des écosystèmes et l'approvisionnement en services écosystémiques. Pour éviter une sous-estimation des risques, une approche intégrée de l'évaluation des risques est nécessaire.

En combinant la dépendance aux services écosystémiques avec les facteurs de risque physique climatique, l'étude a évalué l'exposition des entreprises et des banques de la zone euro aux risques climatiques et naturels composés. Les aléas climatiques considérés incluent les inondations, les sécheresses, le stress thermique, l'élévation du niveau de la mer et les incendies de forêt.

Inondations et Prêts

Plus de 60 % des prêts sont accordés à des entreprises situées dans des zones où plus de la moitié de la demande de protection contre les inondations n'est pas satisfaite. Cela représente un risque financier significatif pour les banques.

Les chocs composés des risques climatiques et naturels peuvent se matérialiser dans les secteurs économiques fortement exposés aux aléas climatiques croissants et, en même temps, fortement dépendants des services écosystémiques connexes. Par exemple, lorsque la dégradation des écosystèmes entraîne une diminution de la protection contre les inondations, les entreprises touchées peuvent subir des effets amplifiés des événements d'inondation.

D'un point de vue systémique, les banques sont exposées à un risque composé découlant directement des facteurs climatiques et de la perte de services écosystémiques. Ce risque augmente en fonction du décalage entre le potentiel des services écosystémiques (leur capacité à générer un service) et la demande (la quantité de service requise par une activité économique).

La nécessité d'une approche intégrée

Le secteur bancaire agrégé de la zone euro montre une dépendance plus élevée aux services écosystémiques que les systèmes néerlandais et français individuels. Toutes les études soulignent le rôle critique de l'eau de surface et souterraine, de la protection contre les inondations et les tempêtes, de la régulation climatique et du contrôle de l'érosion des sols.

La demande européenne de biens et services écologiques dépasse largement la capacité d'approvisionnement de ses écosystèmes. Les activités économiques qui dépendent de ces écosystèmes sont souvent parmi les principaux contributeurs aux pressions environnementales. Elles diminuent la capacité des écosystèmes à fournir des services essentiels.

Implications pour les Politiques

L'identification des prêts accordés aux activités économiques qui exercent une pression substantielle sur les écosystèmes est une phase initiale et essentielle dans l'adoption de politiques économiques alignées sur la nature. Une transition plus rapide et plus efficace des activités économiques et financières est impérative pour minimiser les risques physiques futurs découlant des pertes d'écosystèmes.

Dans le secteur financier, le changement climatique et la dégradation de la nature sont généralement traités comme des préoccupations distinctes. Bien qu'ils présentent des caractéristiques différentes, ils sont intrinsèquement liés et peuvent se renforcer mutuellement. Les actions politiques visant à atténuer le changement climatique auront probablement un impact sur la biodiversité et les services écosystémiques, et vice-versa.

Par exemple, des initiatives de reboisement mal planifiées (comme la monoculture) peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé des écosystèmes. Elles affectent leur capacité à fournir des services essentiels, lesquels sont intégraux à la stabilité économique et au secteur bancaire. Inversement, les politiques d'atténuation du climat peuvent favoriser l'intégrité de la biosphère en mettant en œuvre le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal.

Pour minimiser les risques futurs pour les banques et assurer la stabilité financière, il est impératif que les efforts de restauration et de conservation de la nature soient entrepris en synergie avec les efforts d'atténuation et d'adaptation au climat. Une meilleure compréhension de la structure de dépendance entre les risques climatiques et naturels est nécessaire pour éviter les angles morts et la sous-estimation des risques.

Les systèmes naturels et leurs processus sont régis par des dynamiques non linéaires complexes. Celles-ci peuvent aboutir à des changements irréversibles lorsque des points de basculement sont dépassés. La perte de biodiversité et le changement climatique peuvent tous deux pousser les systèmes naturels au-delà de ces points de non-retour.

L'étude conclut que l'économie et les banques de la zone euro dépendent de manière critique des services écosystémiques. Les données disponibles et l'état actuel des connaissances fournissent une base solide pour des décisions rapides et alignées sur la nature. Cependant, l'analyse met également en évidence des limites, notamment en ce qui concerne la disponibilité des données, les contraintes méthodologiques et les capacités de modélisation.

Des recherches futures devraient prioriser le développement de scénarios intégrés et de cadres de modélisation avancés. L'objectif est de capturer les effets interconnectés et mutuellement renforçants du changement climatique et de la perte de biodiversité sur les risques physiques et de transition. Cela nécessite une approche systémique qui tient compte des boucles de rétroaction, des dynamiques non linéaires et des dépendances transsectorielles.