Les forêts du monde entier bénéficient de l'action des champignons mycorhiziens. Ces organismes microscopiques, qui vivent en symbiose avec les plantes depuis 400 millions d'années, sont essentiels pour la santé des sols et la croissance des arbres. Des chercheurs et des écologistes exploitent cette relation naturelle pour restaurer des écosystèmes dégradés, améliorer la séquestration du carbone et rendre l'agriculture plus durable. Leurs efforts montrent comment une meilleure compréhension du monde souterrain peut aider à lutter contre le changement climatique et à soutenir la biodiversité.
Points clés
- Les champignons mycorhiziens forment des réseaux souterrains essentiels à la survie des plantes.
- Ils améliorent l'absorption d'eau et de nutriments par les arbres, en échange de glucides.
- Des projets de transfert de sol exploitent ces champignons pour restaurer des forêts urbaines.
- Les mycorhizes contribuent de manière significative à la séquestration du carbone.
- Leur utilisation en agriculture réduit le besoin d'engrais chimiques et améliore la productivité.
La symbiose souterraine : un partenariat ancien
Chaque saison de plantation, Claudia Bashian-Victoroff, écologiste des champignons à Holden Forests & Gardens, se rend à Bole Woods. Cette forêt ancienne de 70 acres, située en périphérie de Cleveland, est un laboratoire naturel. Son objectif n'est pas ce qui pousse au-dessus du sol, mais ce qui se trouve en dessous.
En s'agenouillant près d'érables, elle écarte la litière de feuilles pour exposer la couche superficielle du sol. C'est là que la majorité des microbes du sol sont actifs. Elle y cherche des champignons mycorhiziens, qui forment un réseau microscopique complexe. Ces champignons vivent en symbiose avec les plantes, y compris les arbres de Bole Woods et au moins 80 % de toutes les espèces végétales de la planète.
Un fait important
Une seule cuillère de terre peut contenir des kilomètres d'hyphes et de filaments fongiques. Ces structures sont engagées dans un échange évolutif avec les arbres auxquels elles sont liées.
Les champignons recueillent l'eau et les nutriments, puis les livrent aux arbres. En retour, ils reçoivent des glucides produits par la photosynthèse. Ces glucides sont ensuite fixés dans le sol par les champignons à mesure qu'ils grandissent. Ce cycle prospère est au cœur des efforts de restauration.
Restauration des forêts urbaines grâce aux champignons
À Cleveland, la couverture arborée a diminué, atteignant seulement 18 %. Le développement urbain et les maladies en sont les principales causes. Les scientifiques estiment qu'un objectif minimum de 30 % est nécessaire. Pour y remédier, le comté de Cuyahoga a lancé un projet de revitalisation de son couvert forestier.
Dans ce cadre, Claudia Bashian-Victoroff a inoculé environ 600 nouveaux arbres. Chaque arbre a reçu 50 grammes de sol provenant de la forêt ancienne voisine. Ce sol est riche en champignons locaux. L'objectif est d'aider les arbres à mieux grandir et à survivre plus longtemps.
"Nous tirons parti d'associations qui existent entre les arbres et les champignons dans notre environnement depuis des milliers d'années", déclare Bashian-Victoroff.
Holden Forests & Gardens a mené une première expérience il y a près de dix ans. Ils ont utilisé le transfert de sol pour restaurer une forêt sur un ancien terrain de golf. Cette méthode a créé de nouvelles communautés fongiques saines. Bashian-Victoroff les considère comme une "excellente police d'assurance pour les arbres".
Les bénéfices des champignons mycorhiziens
- Meilleure absorption des nutriments et de l'eau : Les champignons pénètrent le sol plus efficacement que les racines des plantes.
- Tolérance à la sécheresse : Ils aident les plantes à survivre en période de stress hydrique.
- Protection contre les agents pathogènes : Ils renforcent la résistance des plantes.
- Dépollution : Ils peuvent absorber les métaux lourds, protégeant ainsi les plantes des substances toxiques.
Contexte de la recherche
Cet hiver, Bashian-Victoroff analysera les arbres urbains plantés avec le sol de Bole Woods. Elle comparera leur croissance avec celle de sujets témoins, ainsi que la teneur en nutriments du sol et la composition de la communauté fongique. Ces données aideront à affiner les méthodes de restauration.
Rôle crucial dans la lutte contre le changement climatique
Les champignons mycorhiziens sont aussi des acteurs clés de l'atténuation du changement climatique. Le carbone qu'ils fixent pour développer leurs réseaux fongiques équivaut à plus d'un tiers des émissions annuelles mondiales de combustibles fossiles.
"Il n'y a pas de meilleure façon de séquestrer le carbone de l'atmosphère et de lutter contre la crise climatique que de protéger et de restaurer nos sols", affirme Evan Buckman, consultant à la Soil Food Web School.
Cette école a formé des agriculteurs dans plus de 100 pays à réintroduire les champignons pour améliorer la santé des sols. Anne Polyakov, scientifique en conservation et restauration fongique à la Society for the Protection of Underground Networks (SPUN), souligne leur importance. SPUN a récemment cartographié les réseaux mycorhiziens de la planète grâce à l'apprentissage automatique pour promouvoir leur conservation.
Ces champignons sont "souvent les moteurs silencieux et invisibles du succès ou de l'échec de la restauration", ajoute Polyakov. Ils tissent le sol et effectuent un échange de ressources vital.
Innovations pour la régénération des forêts et l'agriculture
Rhizocore Technologies, une jeune entreprise britannique, met à profit ce potentiel restaurateur. Elle produit de petites pastilles, de la taille d'un morceau de sucre, remplies de champignons du sol adaptés localement. Ces pastilles sont fournies à des propriétaires fonciers, des organisations à but non lucratif et des agences forestières pour être plantées avec des jeunes arbres.
En quelques années, Rhizocore a traité plus de 600 000 arbres au Royaume-Uni, en Europe et en Australie. Les essais sur le terrain ont montré une amélioration des taux de survie et de croissance. Par exemple, l'épicéa de Sitka, une espèce de bois clé au Royaume-Uni, a vu ses taux de survie et de croissance augmenter de 20 % grâce à ces pastilles.
"Dans l'effort de reconstruction des écosystèmes endommagés, il faut commencer par les sols", explique Petra Guy, scientifique des données chez Rhizocore.
Impact des mycorhizes en agriculture
En agriculture, les champignons mycorhiziens sont également très bénéfiques. Ils peuvent améliorer la productivité des plantes jusqu'à 40 % et augmenter leur résistance aux stress environnementaux. Ils contribuent aussi à fixer le carbone et à réduire la dépendance des agriculteurs aux engrais. L'utilisation excessive d'engrais est une crise environnementale majeure.
Mike Amaranthus, ancien scientifique des sols au département de l'Agriculture des États-Unis, qualifie les champignons mycorhiziens de "solution simple" pour cultiver des aliments riches en nutriments et enfouir le carbone dans le sol. En 1995, il a fondé Mycorrhizal Applications, une entreprise basée en Oregon qui fabrique des inoculants mycorhiziens. Ces produits sont vendus aux agriculteurs, aux forestiers et aux horticulteurs.
Aujourd'hui, l'industrie des inoculants représente un marché d'un milliard de dollars. Pour les agriculteurs, une population mycorhizienne saine offre une réponse aux défis de l'agriculture durable. Elle permet d'atteindre des rendements plus élevés et des coûts réduits, tout en protégeant l'environnement.
"Vous pouvez obtenir des rendements plus élevés, une productivité accrue et des coûts inférieurs lorsque vous investissez dans la collaboration avec la nature plutôt que contre elle, et que vous investissez dans l'alimentation de la vie dans le sol plutôt que de la combattre avec des produits chimiques", affirme Buckman.
Bien que les champignons du sol ne soient pas une solution miracle, ils sont un outil important dans divers contextes, selon Amaranthus. Leur capacité à recycler les nutriments entre les plantes et le sol, y compris le phosphore, est essentielle. Le phosphore est un élément crucial qui est autrement immobile dans le sol. Kris Nichols, biologiste des sols, les décrit comme "l'estomac de la plante". Elle ajoute que "rien de ce que nous pouvons faire n'est plus efficace" que le travail naturellement accompli par les champignons du sol.
Découverte et futur de la recherche
Les champignons du sol ont été identifiés relativement récemment. Le botaniste et biologiste allemand Albert Bernhard Frank a décrit leur diversité en 1885. Il a également inventé le terme "mycorhize".
Les agriculteurs et les écologistes peuvent maximiser les capacités des champignons mycorhiziens en créant un environnement propice à leur développement. Cela peut inclure la culture de couverture dans les champs agricoles ou la plantation d'arbres avec des champignons adaptés localement. Selon Anne Polyakov, les champignons mycorhiziens sont "à la fois d'anciens partenaires et un puzzle scientifique très moderne".





