Face à des niveaux de pollution atmosphérique sans précédent, la capitale indienne, Delhi, a réalisé son premier essai de pluie artificielle par ensemencement de nuages. Les autorités présentent cette initiative comme une avancée technologique majeure, mais les experts restent sceptiques quant à son efficacité à long terme.
La qualité de l'air à Delhi a atteint des niveaux qualifiés de "dangereux" cette semaine, plongeant la ville de plus de 30 millions d'habitants dans un épais brouillard toxique. Cette crise survient après les célébrations du festival de Diwali, où l'usage intensif de feux d'artifice a considérablement aggravé la situation.
Une Capitale Sous un Nuage Toxique
Le smog hivernal est un phénomène récurrent à Delhi. Il est causé par un mélange de fumées industrielles, d'émissions de véhicules, de poussières de construction et de brûlage de résidus agricoles dans les régions voisines. Cette année, la situation est particulièrement critique.
Mardi matin, plusieurs zones de la ville étaient recouvertes d'un brouillard si dense que la visibilité était réduite à quelques centaines de mètres. Les systèmes de surveillance officiels ont classé la qualité de l'air comme "sévère", avec des indices de qualité de l'air (IQA) dépassant 1 300 dans certains quartiers comme Mandir Marg. Un IQA supérieur à 400 est déjà considéré comme dangereux pour l'ensemble de la population.
Un Coût Humain Élevé
Selon un rapport de l'Energy Policy Institute de l'Université de Chicago, la pollution de l'air à Delhi réduit l'espérance de vie moyenne de ses habitants d'environ 12 ans par rapport aux niveaux recommandés par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
La pollution a atteint des niveaux jusqu'à 120 fois supérieurs à la limite de sécurité fixée par l'OMS, qui est de 15 microgrammes par mètre cube.
L'Ensemencement des Nuages Comme Solution
Face à cette urgence sanitaire, la ministre en chef de l'État, Rekha Gupta, a annoncé que la ville était prête à déclencher des pluies artificielles après un essai réussi dans la région de Burari. Elle a évoqué une possible opération à grande échelle autour du 29 octobre si les conditions météorologiques restent favorables.
"Pour la première fois à Delhi, les préparatifs sont terminés pour provoquer des pluies artificielles grâce à l'ensemencement des nuages, marquant une étape technologique importante dans la lutte de la capitale contre la pollution de l'air", a déclaré Mme Gupta.
Comment Fonctionne la Pluie Artificielle ?
La technique, connue sous le nom d'ensemencement de nuages, consiste à disperser des substances dans les airs pour favoriser la formation de gouttes de pluie. Un petit aéronef libère un mélange d'iodure d'argent et de sel dans des nuages riches en humidité. Ces particules agissent comme des noyaux de condensation, déclenchant des précipitations qui pourraient nettoyer l'atmosphère des polluants dangereux.
Cette méthode est déjà utilisée dans plusieurs pays comme les Émirats arabes unis, les États-Unis et la Chine pour augmenter les précipitations ou dissiper le brouillard. Des études suggèrent qu'elle peut augmenter les pluies de 5 à 15 % dans des conditions optimales.
Le Scepticisme de la Communauté Scientifique
Malgré l'optimisme du gouvernement, de nombreux experts considèrent cette mesure comme un pansement sur une plaie béante. Ils affirment que si la pluie artificielle peut offrir un répit temporaire, elle ne s'attaque pas aux sources profondes de la pollution.
Shahzad Gani, professeur adjoint au Centre des sciences atmosphériques de l'IIT Delhi, a vivement critiqué cette approche, la qualifiant de "cas d'école de science mal appliquée et d'éthique ignorée".
"Les solutions miracles ne purifieront pas l'air de Delhi ou du reste de l'Inde du Nord. Il faut plutôt du courage sur le terrain : réduire les sources de pollution et poursuivre une action équitable et fondée sur des preuves. Tout le reste n'est pas seulement de la science malavisée, c'est un échec éthique", a-t-il écrit dans une tribune.
Les critiques soulignent que le gouvernement, tout en promouvant cette solution technologique, a également soutenu l'assouplissement de l'interdiction des feux d'artifice pour Diwali, en proposant des "feux d'artifice verts" qui se sont avérés inefficaces pour limiter la pollution.
La Nécessité d'Actions Durables
Pour les spécialistes de l'environnement, la véritable solution réside dans des efforts soutenus et coordonnés pour réduire les émissions à la source. Cela inclut des mesures strictes concernant :
- Les émissions des véhicules
- La poussière provenant des chantiers de construction
- Les rejets industriels
- Le brûlage des chaumes agricoles
Sans une stratégie globale visant à contrôler ces sources de pollution, des interventions comme la pluie artificielle ne resteront que des solutions temporaires et coûteuses. La lutte pour un air respirable à Delhi nécessite des changements structurels profonds plutôt que des solutions technologiques spectaculaires mais à l'efficacité limitée.





