Le réchauffement climatique transforme de manière significative les écosystèmes du Grand Nord, en particulier dans l'archipel du Svalbard. Une équipe internationale de scientifiques observe en temps réel des bouleversements écologiques majeurs, allant de la prolifération d'algues sous-marines à des changements dans les habitudes de recherche de nourriture des rennes et des ours polaires. Ces modifications rapides ont des conséquences directes sur la chaîne alimentaire locale et rendent le travail de recherche plus dangereux pour les équipes sur place.
Points Clés
- Le Svalbard se réchauffe jusqu'à sept fois plus vite que le reste de la planète.
- Les forêts de kelp sous-marines remplacent les espèces natives dans les eaux auparavant gelées.
- Les rennes, privés de leurs routes traditionnelles, se nourrissent d'algues marines.
- Les ours polaires, ne pouvant plus chasser les phoques sur la glace, se tournent vers les proies terrestres et s'approchent des habitations humaines.
- La glace de mer disparaît plus tôt et se reforme plus tard, créant un cercle vicieux de réchauffement.
Un réchauffement arctique accéléré
Le Svalbard, un archipel norvégien situé près du pôle Nord, connaît un réchauffement climatique exceptionnellement rapide. Cette région se réchauffe jusqu'à sept fois plus vite que la moyenne mondiale. Ce phénomène entraîne des transformations écologiques profondes, affectant chaque niveau de l'écosystème arctique. Les scientifiques de la station de recherche internationale de Ny-Ålesund sont les témoins directs de ces changements.
Ces bouleversements ont des répercussions sur la faune locale. Les rennes, autrefois dépendants de la glace de mer pour accéder à de nouvelles zones de pâturage, se retrouvent isolés. Les ours polaires, dont la survie dépendait de la chasse aux phoques sur la banquise, sont contraints de modifier leurs stratégies de chasse, s'aventurant davantage sur terre.
Fait important
En avril, un ours polaire a été filmé en train de poursuivre un homme dans une colonie russe du Svalbard. L'homme a réussi à s'échapper de justesse en motoneige, soulignant la hausse des interactions dangereuses entre la faune et les humains.
La disparition de la glace de mer
La glace de mer est un élément central de l'écosystème arctique. Sa disparition progressive est l'un des indicateurs les plus visibles du réchauffement. Sebastian Gerland, un scientifique de l'Institut Polaire Norvégien, étudie la glace de mer à Ny-Ålesund depuis près de 29 ans. Ses recherches montrent une tendance claire : la glace se forme plus tard, fond plus tôt et devient plus fine chaque année. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les fjords, où d'anciens glaciers ont déjà disparu.
La perte de glace crée un cycle de rétroaction positive. L'eau sombre du fjord absorbe davantage de chaleur solaire en l'absence de glace, ce qui contribue à un réchauffement accru et à une réduction encore plus importante de la glace l'année suivante. Cette situation affecte l'ensemble de la chaîne alimentaire. Les phoques, par exemple, ne peuvent plus creuser leurs tanières de reproduction sans couverture neigeuse suffisante, ce qui diminue la disponibilité de nourriture pour les ours polaires et les renards arctiques.
« La glace de mer est le ciment ici. Ils ne l'ont plus. Donc, ils sont bloqués. »
Ashild Onvik Pedersen, écologiste norvégienne
Impact sur les espèces marines
Le microbiologiste indien Vipindas Kavumbai étudie les bactéries dans les eaux du fjord. Il observe un « changement de communauté » au niveau microscopique. Les bactéries adaptées au froid diminuent, remplacées par des espèces à croissance plus rapide, mieux adaptées aux températures croissantes. Ce changement à la base de la chaîne alimentaire peut avoir des répercussions significatives sur l'ensemble de l'écosystème marin.
Parallèlement, les forêts de kelp sous-marines prospèrent dans les eaux nouvellement libres de glace. Carlos Smerdou, un écologiste espagnol qui étudie les algues depuis 23 ans, indique que ces forêts « réorganisent tout ». Ces nouvelles forêts attirent même de nouveaux brouteurs, comme les rennes, qui y trouvent une source de nourriture inattendue.
Contexte International
Le Svalbard est administré par la Norvège, mais un traité international permet aux citoyens de nombreux pays d'y vivre et de travailler. La station de Ny-Ålesund est un hub de recherche mondial, accueillant des scientifiques de diverses nations, dont l'Allemagne, la France et l'Inde, qui collaborent pour étudier l'Arctique.
Les rennes et les ours polaires s'adaptent
Les rennes du Svalbard sont confrontés à de nouveaux défis. Ashild Onvik Pedersen, une écologiste norvégienne, étudie ces animaux. Autrefois, ils utilisaient les fjords gelés pour se déplacer vers de meilleurs pâturages. Sans cette route de glace, ils sont désormais confinés par les montagnes et les glaciers. Les cycles de gel-dégel plus fréquents créent des croûtes de glace épaisses sur le sol enneigé, rendant difficile l'accès au lichen, une partie essentielle de leur régime alimentaire.
Face à la faim, certains rennes se sont tournés vers le kelp sous-marin, une nourriture moins nutritive mais disponible. Madame Pedersen qualifie le kelp de « nourriture de survie ». Cependant, cette adaptation n'est pas uniforme. Dans les vallées intérieures du Svalbard, les populations de rennes ont presque quadruplé, atteignant des records en 2018. Des étés plus chauds prolongent la saison de croissance, offrant une végétation plus abondante à ces troupeaux. Cela crée des tendances démographiques divergentes au sein d'un écosystème autrefois interconnecté.
Nouvelles tactiques de chasse des ours polaires
Avec la disparition de la glace de mer, les ours polaires doivent également s'adapter. Jon Aars, un écologiste norvégien qui étudie les ours polaires depuis plus de 20 ans, observe que ces prédateurs arrivent à terre presque un mois plus tôt qu'avant. Ils ont développé de nouvelles stratégies de chasse pour compenser la perte de leur principale proie, le phoque.
- Stratégie de la falaise : Les ours grimpent sous les rennes sur des terrains escarpés, les poussant vers le haut jusqu'à ce qu'ils tombent.
- Embuscade : Ils attaquent les rennes par le haut, utilisant leur poids pour descendre les pentes plus vite que prévu.
- Chasse aquatique : Ils poursuivent les rennes dans l'eau et les surclassent à la nage.
Ces ours se nourrissent désormais de viande de renne, d'œufs d'oiseaux marins, d'herbe et d'algues. Si les ours arrivent avant l'éclosion des œufs d'oiseaux marins, ils peuvent détruire jusqu'à 90 % des nids. Les rencontres avec les humains sont également en augmentation. En juillet, un ours mâle de 4 ans a été abattu près de Ny-Ålesund après avoir été jugé dangereux pour les humains.
Statistiques sur les ours polaires
La population d'ours polaires au Svalbard, estimée à environ 300 individus, s'est stabilisée depuis l'interdiction de la chasse en 1973. Pendant la saison de chasse aux phoques de trois mois, les ours obtiennent environ 70 % de leurs besoins énergétiques annuels.
L'avenir incertain de l'Arctique
Les scientifiques comme Gil Bohrer, ingénieur en environnement à l'Université d'État de l'Ohio, tentent de comprendre si les plantes et les animaux pourront s'adapter à ces changements rapides. Il aide à créer une archive de données de capteurs qui suivent les mouvements des animaux à travers l'Arctique.
Jon Aars, malgré les défis, reste moins pessimiste que certains de ses collègues. Il croit que certains écosystèmes survivront, ou que de nouveaux émergeront avec des espèces et des comportements différents en réponse à un monde plus chaud. Il pense que les ours polaires existeront encore dans certaines parties de l'Arctique dans un futur lointain, même si de nombreux écosystèmes actuels seront perdus.
La situation au Svalbard est un exemple frappant des défis posés par le changement climatique. L'adaptation des espèces et les interactions croissantes entre la faune et les humains soulignent l'urgence d'une action climatique mondiale.





