Les tourbières, qui ne couvrent que 3 % de la surface terrestre, jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat en stockant plus de 30 % du carbone du sol mondial. Cependant, une nouvelle étude révèle que des sécheresses extrêmes, exacerbées par le réchauffement climatique et des niveaux de CO2 plus élevés, pourraient transformer ces puits de carbone vitaux en sources importantes d'émissions, libérant des siècles de carbone accumulé en quelques mois seulement.
Cette recherche met en lumière une vulnérabilité critique de ces écosystèmes. Les résultats indiquent que la perte de carbone des tourbières pourrait être presque trois fois plus importante dans les conditions climatiques futures, menaçant d'annuler entre 90 et 250 ans de séquestration de carbone.
Points Clés
- Les tourbières stockent 30 % du carbone du sol mondial sur seulement 3 % de la surface terrestre.
- Une sécheresse extrême dans un climat futur pourrait multiplier par quatre les pertes de carbone des tourbières.
- Cette transformation pourrait libérer l'équivalent de 90 à 250 ans de carbone stocké.
- Des niveaux élevés de CO2, combinés à des températures plus chaudes, aggravent considérablement les émissions de carbone pendant les sécheresses.
Un équilibre fragile menacé par le changement climatique
Les tourbières sont des zones humides où la matière organique s'accumule sur des milliers d'années, piégeant ainsi le carbone et l'empêchant de se libérer dans l'atmosphère. Ce processus de séquestration de carbone est fondamental pour la stabilité du climat mondial.
Cependant, cet équilibre est de plus en plus menacé. Les scientifiques savaient déjà que la sécheresse pouvait nuire à la productivité de ces écosystèmes et augmenter les émissions de carbone. Une nouvelle étude va plus loin en examinant comment le réchauffement des températures et l'augmentation du dioxyde de carbone atmosphérique amplifient ce phénomène.
« Alors que les températures augmentent, les épisodes de sécheresse deviennent plus fréquents et plus sévères, rendant les tourbières plus vulnérables qu'auparavant », explique Yiqi Luo, auteur principal de l'étude et professeur à l'École des sciences végétales intégratives. Il souligne que les enjeux sont immenses.
« Nous avons observé que ces épisodes de sécheresse extrême peuvent anéantir des centaines d'années de carbone accumulé, ce qui a une implication énorme. »
Des résultats expérimentaux alarmants
Pour parvenir à ces conclusions, les chercheurs ont utilisé les données d'une expérience de terrain à grande échelle menée dans le nord du Minnesota. Le projet, connu sous le nom de SPRUCE (Spruce and Peatland Responses Under Climatic and Environmental Change), utilise de grandes chambres d'expérimentation pour simuler les conditions climatiques futures.
À l'intérieur de ces enceintes, les scientifiques peuvent contrôler la température et les concentrations de dioxyde de carbone. L'étude s'est concentrée sur un épisode de sécheresse extrême survenu en juillet et août 2021, analysant la réponse de la tourbière dans dix scénarios climatiques différents.
Un réservoir de carbone vital
Malgré leur faible empreinte géographique (3 % des terres), les tourbières contiennent plus de carbone que toutes les forêts du monde réunies. Leur dégradation pourrait donc avoir des conséquences disproportionnées sur le climat mondial.
Les observations ont montré que lorsque la nappe phréatique s'abaissait pendant la sécheresse, elle mettait plus de temps à se rétablir dans des conditions de températures et de CO2 plus élevées. Ce retard a entraîné une libération prolongée et accrue de carbone dans l'atmosphère.
L'effet surprenant du dioxyde de carbone
L'un des résultats les plus inattendus de l'étude concerne le rôle du dioxyde de carbone. Dans de nombreux écosystèmes terrestres, comme les forêts, une augmentation du CO2 peut stimuler la photosynthèse et améliorer l'efficacité de l'utilisation de l'eau par les plantes, ce qui aide à atténuer les effets de la sécheresse.
Cependant, dans les tourbières, l'effet inverse a été observé. « Des études antérieures indiquaient que des niveaux élevés de CO2 peuvent généralement rendre les événements extrêmes moins impactants, mais nos résultats indiquent le contraire », note le professeur Luo.
L'analyse des données, menée par le chercheur postdoctoral Quan Quan, a révélé que des niveaux de CO2 élevés augmentaient la quantité de substrat et de carbone dissous dans la tourbière. Lorsque ce carbone dissous est exposé à l'oxygène pendant une sécheresse, il se décompose plus rapidement, libérant davantage de CO2 dans l'atmosphère.
Prévisions du GIEC
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) estime que les sécheresses extrêmes deviendront de 1,7 à 7,2 fois plus probables dans un avenir proche. Cette projection rend les résultats de l'étude sur les tourbières d'autant plus préoccupants pour les stratégies d'atténuation du changement climatique.
Une augmentation « spectaculaire » des émissions
L'étude a révélé que si des niveaux élevés de CO2 seuls pouvaient légèrement améliorer la productivité de l'écosystème, la combinaison d'une augmentation de la température de 9 degrés Celsius et de niveaux élevés de CO2 a provoqué une augmentation « spectaculaire » des émissions de carbone pendant la sécheresse de 2021.
Cette synergie négative transforme un mécanisme potentiellement bénéfique en un puissant accélérateur des émissions de gaz à effet de serre. La découverte souligne la complexité des réponses des écosystèmes au changement climatique et la nécessité de ne pas généraliser les conclusions d'un type d'environnement à un autre.
Un appel à protéger ces écosystèmes
Face à ces résultats, les chercheurs lancent un avertissement sur les impacts potentiellement graves du réchauffement climatique et appellent à accorder une plus grande attention aux tourbières, malgré leur faible superficie mondiale.
« C'est un réservoir de carbone énorme par rapport à n'importe quel autre écosystème », insiste Yiqi Luo. « Nous devons trouver un moyen d'atténuer le changement climatique et d'infléchir la courbe du réchauffement. »
La protection et la restauration des tourbières deviennent ainsi des priorités stratégiques dans la lutte contre le changement climatique. Ignorer leur vulnérabilité pourrait non seulement compromettre les efforts de réduction des émissions, mais aussi déclencher une boucle de rétroaction dangereuse, où le réchauffement entraîne la libération de plus de carbone, ce qui accélère encore le réchauffement.
La recherche continue sur le site SPRUCE pour mieux intégrer ces données dans les modèles climatiques et comprendre comment les tourbières réagiront aux changements environnementaux à long terme. Ces efforts sont cruciaux pour élaborer des politiques climatiques efficaces et préserver ces alliés naturels indispensables.





