L'océan Austral, une région clé pour l'absorption du dioxyde de carbone (CO₂), continue de stocker cette substance malgré les prévisions des modèles climatiques. Une nouvelle étude menée par l'Institut Alfred Wegener (AWI) explique ce phénomène inattendu, révélant que l'eau de surface à faible salinité joue un rôle crucial en piégeant le CO₂ des profondeurs. Cette découverte, publiée dans la revue Nature Climate Change, modifie notre compréhension de la capacité de l'océan à atténuer le changement climatique.
Points Clés
- L'océan Austral maintient sa capacité d'absorption du CO₂.
- Les modèles climatiques prévoyaient une diminution de cette capacité.
- La faible salinité des eaux de surface piège le CO₂ des profondeurs.
- Ce phénomène temporaire pourrait s'inverser avec l'intensification des vents.
- Des données d'observation depuis 1972 ont été utilisées pour l'étude.
Les océans absorbent environ un quart des émissions anthropiques de CO₂ libérées dans l'atmosphère. L'océan Austral, à lui seul, stocke environ 40 % de ce total, ce qui en fait une région essentielle pour freiner le réchauffement climatique. Son rôle important est dû à la circulation océanique qui fait remonter les masses d'eau des profondeurs, les renouvelle, puis les renvoie vers le fond.
Ce processus libère du CO₂ naturel des profondeurs et absorbe le CO₂ anthropique de l'atmosphère. La capacité de l'océan Austral à absorber le CO₂ dépend de la quantité de CO₂ naturel qui remonte à la surface : plus il y a de CO₂ naturel qui monte, moins l'océan peut absorber de CO₂ d'origine humaine.
Un Équilibre Fragile et des Prévisions Contestées
Le processus est contrôlé par la circulation océanique et la stratification des différentes masses d'eau. L'eau qui remonte des profondeurs de l'océan Austral est extrêmement ancienne, n'ayant pas été à la surface depuis des centaines, voire des milliers d'années. Au fil du temps, elle a accumulé de grandes quantités de CO₂ qui retournent naturellement à la surface par le processus de remontée.
Fait Important
L'océan Austral est responsable de l'absorption d'environ 40 % du CO₂ anthropique total stocké par les océans mondiaux, ce qui en fait un acteur majeur dans la régulation du climat terrestre.
Des études de modélisation ont suggéré que le renforcement des vents d'ouest, causé par le changement climatique, entraînerait la remontée de plus en plus de cette eau profonde riche en CO₂. À long terme, cela réduirait la capacité de l'océan Austral à absorber le CO₂ d'origine humaine. Cependant, contrairement à ces projections, les données d'observation des dernières décennies n'ont montré aucune réduction de sa capacité en tant que puits de CO₂.
« L'eau profonde de l'océan Austral se trouve normalement en dessous de 200 mètres », déclare la Dr Léa Olivier, océanographe à l'AWI et auteure principale de l'étude. « Elle est salée, riche en nutriments et relativement chaude par rapport à l'eau de surface. »
Cette eau profonde contient une grande quantité de CO₂ dissous qui a pénétré dans l'océan profond il y a longtemps. L'eau proche de la surface, en revanche, est moins salée, plus froide et contient moins de CO₂. Tant que la stratification de densité entre l'eau profonde et l'eau de surface reste intacte, le CO₂ des couches profondes ne peut pas facilement remonter à la surface.
Le Rôle Crucial de l'Eau de Surface Dessalée
La nouvelle étude de l'Institut Alfred Wegener (AWI) apporte une explication à cette observation. Malgré le renforcement des vents d'ouest, l'océan Austral a continué d'agir comme un puits de CO₂ au cours des dernières décennies, ralentissant ainsi le changement climatique.
Contexte Climatique
Le changement climatique est un phénomène global caractérisé par une augmentation des températures moyennes de la Terre, principalement due aux émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. L'océan joue un rôle vital dans l'atténuation de ce réchauffement en absorbant une partie significative de ces émissions.
« Des études antérieures suggéraient que le changement climatique mondial renforcerait les vents d'ouest au-dessus de l'océan Austral, et avec cela, la circulation de retournement également », explique Olivier. « Cependant, cela transporterait plus d'eau riche en carbone des profondeurs vers la surface, ce qui réduirait par conséquent la capacité de l'océan Austral à stocker le CO₂. »
Bien que le renforcement des vents ait déjà été observé et attribué aux changements d'origine humaine dans des études récentes de modélisation et d'observation, il n'y a pas de preuve indiquant que l'océan Austral absorbe moins de CO₂, du moins pour le moment. Les observations à long terme de l'AWI et d'autres instituts de recherche internationaux suggèrent que le changement climatique pourrait affecter les propriétés des masses d'eau de surface et profondes.
Données et Observations de Long Terme
L'étude a analysé un ensemble de données biogéochimiques provenant de nombreuses expéditions marines dans l'océan Austral entre 1972 et 2021. Les chercheurs ont recherché des anomalies à long terme, ainsi que des changements dans les schémas de circulation et les propriétés des masses d'eau. Ils n'ont considéré que les processus liés à l'échange entre les deux masses d'eau, à savoir la circulation et le mélange, et non les processus biologiques.
« Nous avons pu déterminer que, depuis les années 1990, les deux masses d'eau sont devenues plus distinctes l'une de l'autre », explique Olivier. La salinité de l'eau de surface de l'océan Austral a diminué en raison d'un apport accru d'eau douce, causé par les précipitations et la fonte des glaciers et de la glace de mer. Ce « rafraîchissement » renforce la stratification de densité entre les deux masses d'eau.
- 1972-2021 : Période d'observation des données biogéochimiques.
- Années 1990 : Début de la distinction accrue entre les masses d'eau.
- 40 mètres : Déplacement vers la surface de la limite supérieure de l'eau profonde.
Cette barrière empêche l'eau profonde riche en CO₂ de remonter à la surface. « Notre étude montre que cette eau de surface plus douce a temporairement compensé l'affaiblissement du puits de carbone dans l'océan Austral, comme les simulations de modèles l'avaient prédit », résume Olivier. « Cependant, cette situation pourrait s'inverser si la stratification devait s'affaiblir. »
Risques Futurs et Nécessité de Nouvelles Données
Un risque existe que cette situation s'inverse, car les vents d'ouest de plus en plus forts poussent l'eau profonde toujours plus près de la surface. Depuis les années 1990, la limite supérieure de la masse d'eau profonde s'est déplacée d'environ 40 mètres plus près de la surface, où l'eau riche en CO₂ remplace de plus en plus l'eau de surface hivernale à faible salinité.
À mesure que la couche de transition entre l'eau de surface et l'eau profonde se rapproche de la surface, elle devient plus susceptible au mélange. Ce mélange pourrait être principalement causé par le renforcement des vents d'ouest. Un tel mélange libérerait le CO₂ accumulé sous la couche d'eau de surface. Une étude récemment publiée suggère que ce processus pourrait avoir déjà commencé.
Le résultat serait qu'une plus grande quantité d'eau profonde riche en CO₂ pourrait atteindre la surface, ce qui réduirait la capacité de l'océan Austral à absorber le CO₂ anthropique et accélérerait ainsi le changement climatique. « Ce qui m'a le plus surpris, c'est que nous avons en fait trouvé la réponse à notre question sous la surface », déclare Olivier. « Nous devons regarder au-delà de la surface de l'océan, sinon nous risquons de manquer une partie essentielle de l'histoire. »
Pour confirmer si plus de CO₂ a été libéré de l'océan profond ces dernières années, des données supplémentaires sont nécessaires, en particulier pendant les mois d'hiver, lorsque les masses d'eau ont tendance à se mélanger. Le professeur Alexander Haumann, co-auteur de l'étude, souligne que l'AWI prévoit d'examiner attentivement ces processus dans les années à venir dans le cadre du programme international Antarctica InSync, afin de mieux comprendre les effets du changement climatique sur l'océan Austral et les interactions potentielles.





