Le département de la Défense des États-Unis a entamé un changement radical de sa politique, s'éloignant de la reconnaissance du changement climatique comme une menace pour la sécurité nationale. Cette nouvelle orientation se traduit par des coupes budgétaires et l'annulation de programmes visant à protéger les troupes et les infrastructures militaires des effets des conditions météorologiques extrêmes.
Depuis des décennies, l'armée américaine considérait le réchauffement climatique comme un facteur de risque majeur pour ses opérations. Aujourd'hui, cette approche est remise en question, malgré les impacts croissants des vagues de chaleur, des ouragans et des inondations sur les forces armées.
Points Clés
- Le Pentagone a initié une nouvelle politique qui minimise l'importance du changement climatique comme menace pour la sécurité nationale.
- Des coupes budgétaires de 1,6 milliard de dollars sont proposées pour les programmes liés au climat dans le budget 2026.
- Les maladies liées à la chaleur chez les militaires ont augmenté de 52 % entre 2020 et 2024.
- Des bases militaires stratégiques en Floride et à Guam ont subi des milliards de dollars de dégâts à cause d'ouragans et de typhons intensifiés.
- Des dizaines d'études sur les menaces climatiques ont été annulées, et des portails d'information publics ont été fermés.
Un changement de cap politique au Pentagone
L'administration actuelle a marqué une rupture nette avec les politiques précédentes. Le secrétaire à la Défense, Pete Hegseth, a publiquement qualifié les préoccupations liées au réchauffement climatique de « foutaises sur le changement climatique ».
Cette position se reflète dans des actions concrètes. Une directive a été émise en mars pour ordonner aux agences du Pentagone de « supprimer toute référence au changement climatique et aux sujets connexes des énoncés de mission ». L'objectif affiché est de recentrer les efforts sur la formation et le combat.
Un héritage de plusieurs décennies
La prise en compte du climat par l'armée américaine n'est pas nouvelle. Dès 1998, le département de la Défense a élaboré sa première stratégie sur le changement climatique. En 2008, il l'a officiellement qualifié de problème de sécurité nationale. Sous l'administration précédente, l'ancien secrétaire à la Défense Lloyd Austin l'avait même décrit comme une « menace existentielle ».
Le budget proposé pour 2026 recommande une réduction de 1,6 milliard de dollars des dépenses jugées « inutiles » liées au climat. Cette décision contraste fortement avec la demande de 5 milliards de dollars pour des initiatives climatiques dans le budget de 2024, qui visait à renforcer les bases et à réduire la dépendance aux carburants sur le terrain.
Les conséquences directes sur les forces armées
Les effets du changement climatique ne sont pas une menace lointaine pour les militaires américains ; ils constituent un défi quotidien qui affecte directement leur santé et leur capacité opérationnelle.
La menace croissante de la chaleur extrême
La chaleur intense est devenue un ennemi tangible. Depuis 2018, plus de 10 000 militaires ont été mis hors de combat en raison de maladies liées à la chaleur. Les données montrent une augmentation alarmante de 52 % du taux annuel d'épuisement par la chaleur entre 2020 et 2024.
La base de Fort Benning, en Géorgie, a enregistré plus de cas de maladies liées à la chaleur que toute autre installation militaire américaine. Cette crise a conduit à la création du Centre de la chaleur de l'armée américaine en 2019, dédié à la prévention et au traitement de ces affections.
Pour atténuer ces risques, l'armée utilise un système de drapeaux. Un « drapeau noir », généralement hissé lorsque la température dépasse 32°C (90°F), entraîne la suspension des activités extérieures non essentielles. Selon un rapport du département de la Défense de 2023, ces journées sont de plus en plus fréquentes.
« Je pense que cela met nos troupes en danger. Nous serons moins préparés si nos troupes sont déployées dans un endroit où il fait incroyablement chaud et que leur équipement ne fonctionne pas correctement, ou si elles ne peuvent pas opérer physiquement... C'est une faute professionnelle, je pense. » - Erin Sikorsky, directrice du Center for Climate & Security.
Des infrastructures militaires vulnérables
Les événements météorologiques extrêmes causent des dommages matériels considérables. Les bases côtières sont particulièrement exposées.
- Octobre 2018 : L'ouragan Michael, avec des vents de 255 km/h, a frappé la base aérienne de Tyndall en Floride. Il a endommagé plus de 600 bâtiments, nécessitant près de 5 milliards de dollars pour les réparations et l'amélioration de la résilience de la base.
- Mai 2023 : Le typhon Mawar a dévasté la base aérienne d'Andersen à Guam, avec des vents de 225 km/h et 71 cm de pluie. Les réparations et le renforcement de la base ont coûté près de 10 milliards de dollars.
Selon les scientifiques, des températures océaniques inhabituellement chaudes ont intensifié ces tempêtes. De plus, la montée du niveau de la mer devrait provoquer des inondations chroniques sur de nombreuses bases côtières dans les décennies à venir.
Impacts sur la préparation et les opérations stratégiques
Au-delà des dommages physiques, le changement climatique compromet la capacité de l'armée à mener ses missions, de la logistique quotidienne à la dissuasion nucléaire.
Capacités opérationnelles réduites
La performance des équipements militaires est directement affectée par les conditions climatiques. L'air chaud et humide réduit la portance des avions, ce qui peut les obliger à réduire leur charge utile ou à annuler des missions. De même, l'eau de mer plus chaude rend le refroidissement des moteurs de navires plus difficile.
La fonte des glaciers, en diluant la salinité de l'océan, peut également compromettre l'efficacité des sonars, un outil essentiel pour la guerre sous-marine.
La logistique du carburant est une vulnérabilité majeure en zone de combat. Selon Sherri Goodman, ancienne sous-secrétaire adjointe à la Défense, « pour chaque 24 convois de carburant en Afghanistan, un soldat était tué ». La transition vers des véhicules hybrides, plus économes, visait à réduire ce risque.
Instabilité géopolitique et nouvelles zones de conflit
De nombreux experts considèrent le changement climatique comme un « multiplicateur de menaces ». Le lieutenant-général à la retraite Russel Honoré, qui a dirigé la réponse militaire à l'ouragan Katrina, souligne que la sécheresse a contribué à déclencher la guerre civile en Syrie et le conflit armé au Soudan.
La fonte des glaces de l'Arctique ouvre de nouvelles routes maritimes, augmentant le potentiel de conflits militaires dans une région autrefois inaccessible. Cela crée de nouveaux défis stratégiques pour les États-Unis, la Russie et la Chine.
L'abandon de la recherche et de la planification
La nouvelle doctrine du Pentagone se traduit par un démantèlement actif des outils de planification et de recherche liés au climat.
Le département de la Défense a annoncé l'annulation de 91 études axées sur la recherche climatique et les sciences sociales. Cette mesure, qui permet d'économiser 30 millions de dollars (une fraction infime du budget de 850 milliards de dollars du département), élimine des recherches sur des menaces émergentes comme le changement climatique, l'extrémisme et la désinformation.
Au cours des derniers mois, les plans d'action climatique de l'armée de terre, de la marine, de l'armée de l'air et des garde-côtes ont été retirés des sites web publics. Le portail sur la résilience climatique du Pentagone a également été fermé.
John Conger, ancien haut fonctionnaire du département de la Défense, avertit des dangers d'une telle approche : « Si vous ne disposez pas d'informations complètes parce que vous ignorez délibérément certaines parties du puzzle, vous vous mettez en situation de désavantage – parce que les Russes et les Chinois, eux, ne l'ignorent pas. »
Ce changement de politique suggère que pour le Pentagone, la priorité est désormais de se concentrer exclusivement sur le combat, en considérant que l'adaptation aux nouvelles réalités environnementales n'est plus une mission centrale, malgré les preuves croissantes de leur impact sur la sécurité nationale.





