Une idée autrefois reléguée à la science-fiction, celle de refroidir la planète en réfléchissant la lumière du soleil, est désormais sérieusement étudiée par la communauté scientifique. Cependant, une nouvelle étude de l'Université Columbia met en garde : les tentatives de manipuler le climat par injection d'aérosols dans la stratosphère pourraient avoir des conséquences imprévisibles et potentiellement dévastatrices, bien plus complexes que ne le suggèrent les modèles théoriques.
Les chercheurs soulignent que les défis pratiques, économiques et géopolitiques liés à cette technologie, connue sous le nom d'injection d'aérosols stratosphériques (IAS), rendent ses résultats beaucoup plus incertains et risqués qu'on ne le pensait jusqu'à présent.
Points Clés
- L'injection d'aérosols stratosphériques (IAS) vise à imiter le refroidissement naturel provoqué par les éruptions volcaniques.
- Une étude de l'Université Columbia révèle que les modèles actuels sont trop idéalisés et ignorent des obstacles pratiques majeurs.
- Le lieu, le moment et le type de particules injectées pourraient radicalement modifier les résultats, entraînant des perturbations climatiques mondiales.
- Les matériaux alternatifs aux sulfates, proposés pour être plus sûrs, se heurtent à des problèmes de coût, de disponibilité et d'efficacité technique.
- Les scientifiques appellent à une extrême prudence, arguant que les risques réels sont bien plus grands que ce qui a été estimé.
Une solution "idéalisée" face à la réalité du terrain
La géo-ingénierie solaire, et plus particulièrement l'injection d'aérosols stratosphériques, est souvent présentée comme une solution d'urgence potentielle face au réchauffement climatique. Le principe est simple en apparence : disperser des particules dans la haute atmosphère pour réfléchir une partie des rayons du soleil vers l'espace, faisant ainsi baisser la température mondiale.
Cependant, les scientifiques de l'Université Columbia avertissent que la réalité est loin d'être aussi simple. « Même lorsque les simulations de l'IAS dans les modèles climatiques sont sophistiquées, elles sont nécessairement idéalisées », explique V. Faye McNeill, chimiste de l'atmosphère et co-auteure de l'étude. Selon elle, les modèles utilisent des particules de taille parfaite, injectées en quantité et à l'endroit exacts souhaités.
Cette approche théorique ignore les innombrables variables du monde réel. La transition d'un modèle informatique à une application concrète révèle une cascade d'incertitudes qui, selon les chercheurs, élargissent considérablement l'éventail des résultats possibles, y compris les pires scénarios.
L'effet papillon : le lieu d'injection change tout
L'un des facteurs les plus critiques mis en évidence par l'étude est la localisation géographique des injections. Les conséquences climatiques varient énormément en fonction de la latitude où les aérosols sont libérés. Ce n'est pas seulement une question de quantité de particules, mais de précision stratégique.
Par exemple :
- Une injection concentrée au-dessus des pôles pourrait perturber gravement les systèmes de mousson tropicaux, affectant les pluies dont dépendent des milliards de personnes pour leur agriculture et leur approvisionnement en eau.
- À l'inverse, une dispersion effectuée près de l'équateur risquerait d'interférer avec le courant-jet (jet stream) et de modifier la circulation de la chaleur entre les hémisphères, avec des conséquences imprévisibles sur les régimes météorologiques mondiaux.
La leçon de l'éruption du Pinatubo
L'éruption du mont Pinatubo aux Philippines en 1991 est souvent citée comme une preuve de concept pour la géo-ingénierie. Le volcan a projeté des millions de tonnes de dioxyde de soufre dans la stratosphère, formant des aérosols de sulfate qui ont entraîné une baisse de la température mondiale de près de 0,5 °C pendant près de deux ans. Cependant, cet événement a également eu des effets secondaires négatifs, comme une perturbation de la mousson indienne et une diminution de la couche d'ozone.
Cette sensibilité géographique implique qu'une mise en œuvre de l'IAS devrait être coordonnée de manière centralisée et globale. Or, compte tenu des réalités géopolitiques actuelles, les chercheurs jugent un tel consensus international hautement improbable, ouvrant la porte à des actions unilatérales aux conséquences potentiellement chaotiques.
Le dilemme des matériaux : entre efficacité et faisabilité
Le choix des particules à injecter est un autre casse-tête majeur. La plupart des études se sont concentrées sur les aérosols de sulfate, similaires à ceux produits par les volcans. Mais leur utilisation à grande échelle comporterait des risques connus, comme la formation de pluies acides et la dégradation de la couche d'ozone.
La recherche d'alternatives plus sûres
Pour éviter ces écueils, les scientifiques ont exploré des alternatives minérales, comme le carbonate de calcium, l'alumine, le dioxyde de titane, voire le diamant, pour leurs propriétés optiques. Cependant, l'étude de Columbia montre que ces options se heurtent à des obstacles pratiques rédhibitoires.
« Les scientifiques ont discuté de l'utilisation de candidats aérosols sans vraiment tenir compte des limitations pratiques qui pourraient entraver notre capacité à en injecter des quantités massives chaque année », souligne Miranda Hack, auteure principale de l'article.
Des barrières économiques et techniques
L'analyse économique révèle plusieurs impasses. Le diamant, bien qu'efficace, est tout simplement trop rare et cher. Pour d'autres matériaux comme le dioxyde de titane, une demande à l'échelle planétaire ferait exploser les prix et mettrait à rude épreuve les chaînes d'approvisionnement mondiales.
Un défi de taille microscopique
Même les matériaux plus abondants comme le carbonate de calcium posent un problème technique majeur. Pour être efficaces, les particules doivent avoir une taille submicronique. Or, à cette échelle, ces minéraux ont une forte tendance à s'agglomérer pour former des amas plus gros. Selon les calculs des chercheurs, ces agrégats sont beaucoup moins efficaces pour réfléchir la lumière du soleil et leurs impacts climatiques sont encore plus mal compris que ceux des particules individuelles.
Cette tendance à l'agrégation signifie que les bénéfices climatiques attendus de ces alternatives pourraient ne jamais se matérialiser, laissant place à des effets inconnus et potentiellement néfastes.
Des incertitudes qui appellent à la prudence
En conclusion, les chercheurs de l'Université Columbia affirment que chaque défi pratique – de la méthode de dispersion à la nature des particules – ajoute de nouvelles couches d'incertitude à une proposition déjà risquée. Ils insistent sur la nécessité de reconnaître ces complications avant d'envisager sérieusement le déploiement de toute forme de géo-ingénierie solaire.
Pour Gernot Wagner, économiste du climat et co-auteur, la réalité est claire : « Cela ne se produira pas de la manière dont 99 % de ces articles le modélisent ». La géo-ingénierie solaire n'est pas une simple manette que l'humanité pourrait actionner pour régler le thermostat planétaire. C'est une intervention complexe avec un potentiel de conséquences en cascade, dont beaucoup restent inconnues.
Face à l'urgence climatique, l'exploration de toutes les options est compréhensible. Mais cette étude rappelle que les solutions apparemment simples peuvent cacher des dangers profonds, et que la prudence doit rester le maître-mot avant de s'engager sur une voie aux retours en arrière impossibles.





