Des recherches récentes indiquent que l'Antarctique, autrefois considéré comme un bastion de glace stable, subit une transformation rapide qui reflète la fonte observée au Groenland. Les scientifiques qualifient ce phénomène de "groenlandification", soulignant une accélération de la fonte en surface, un écoulement plus rapide des glaciers et une diminution de la banquise, avec des conséquences potentiellement graves pour l'élévation du niveau de la mer à l'échelle mondiale.
Les données satellitaires et les observations de terrain confirment que le réchauffement climatique affecte désormais le pôle Sud de manière significative, remettant en question les anciennes certitudes sur sa résilience. Ce changement rapide pourrait avoir des répercussions majeures sur les schémas climatiques globaux, notamment les précipitations et les sécheresses.
Points Clés
- L'Antarctique montre des signes de fonte similaires à ceux du Groenland, un phénomène appelé "groenlandification".
- La fonte en surface, l'accélération des glaciers et la réduction de la banquise sont de plus en plus observées.
- La calotte glaciaire de l'Antarctique contient assez d'eau pour élever le niveau de la mer de 58 mètres.
- L'effondrement de la plateforme de glace Larsen B en 2002 a été un événement marquant, démontrant la rapidité des changements possibles.
- Les scientifiques soulignent l'urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre pour limiter ces impacts.
Un changement de paradigme pour le pôle Sud
Pendant des décennies, la communauté scientifique a considéré la vaste calotte glaciaire de l'Antarctique comme relativement stable, surtout en comparaison avec la fonte rapide observée en Arctique. Dans les années 1990, on enseignait encore que les impacts climatiques mettraient très longtemps à se manifester au pôle Sud.
Cependant, cette perception a radicalement changé. De nouvelles études, s'appuyant sur des données satellitaires et des observations directes, montrent que l'Antarctique est tout aussi vulnérable au réchauffement de la planète. Les processus physiques qui régissent la fonte des glaces sont universels, et leurs effets sont désormais visibles aux deux pôles.
"On nous disait que l'Antarctique allait être stable et qu'il ne fondrait pas beaucoup", a déclaré Ruth Mottram, chercheuse sur les glaces à l'Institut météorologique danois. "Nous pensions qu'il faudrait une éternité pour que des impacts climatiques soient visibles en Antarctique. Et ce n'est vraiment pas vrai."
Les premiers signes alarmants provenaient de l'effondrement des plateformes de glace, du recul des glaciers et de l'augmentation de la fonte en surface, des phénomènes initialement détectés grâce aux satellites.
L'Antarctique en chiffres
La calotte glaciaire antarctique s'étend sur environ 14 millions de kilomètres carrés, une superficie plus grande que l'Europe. Son épaisseur moyenne dépasse 1,6 kilomètre et elle contient 61 % de toute l'eau douce de la planète. Si toute cette glace fondait, le niveau moyen de la mer augmenterait d'environ 58 mètres (190 pieds).
L'effondrement de Larsen B : un avertissement clair
L'un des événements les plus spectaculaires qui a alerté les scientifiques fut l'effondrement rapide de la plateforme de glace Larsen B en 2002. Située le long de la péninsule Antarctique, cette immense étendue de glace de la taille du Rhode Island s'est désintégrée en seulement six semaines.
Helen Amanda Fricker, professeure de géophysique au Scripps Institute of Oceanography, a qualifié cet événement de "stupéfiant". Elle explique que la communauté scientifique ne s'attendait pas à une telle rapidité.
"L'effondrement de la plateforme de glace Larsen B en 2002 a été un événement stupéfiant dans notre communauté", a-t-elle déclaré. "Nous n'arrivions tout simplement pas à croire à la vitesse à laquelle cela s'est produit. Les plateformes de glace sont là, puis, boum, boum, boum... et tout s'est effondré, réduit en miettes."
Des barrages de glace qui s'affaiblissent
Les plateformes de glace flottantes agissent comme des contreforts, retenant les glaciers terrestres et ralentissant leur écoulement vers l'océan. La disparition de Larsen B a entraîné une accélération des sept principaux glaciers qu'elle retenait, contribuant directement à l'élévation du niveau de la mer.
Selon Helen Amanda Fricker, ces "barrages" naturels s'affaiblissent tout autour de l'Antarctique. La quantité de glace déversée dans l'océan a quadruplé depuis les années 1990. "Nous sommes sur le point d'atteindre un chiffre très élevé... car à un certain moment, il n'y a plus moyen de l'arrêter", prévient-elle.
Les mécanismes de la fonte s'accélèrent
Plusieurs facteurs contribuent à la déstabilisation de l'Antarctique. Autrefois considéré comme isolé du système climatique mondial, le continent subit désormais des influences atmosphériques et océaniques plus directes.
Le rôle des rivières atmosphériques
En 2022, une vague de chaleur exceptionnelle a touché jusqu'à l'intérieur le plus froid de la calotte glaciaire de l'Antarctique oriental. Cet événement a été provoqué par une "rivière atmosphérique", un couloir concentré d'air chargé d'humidité. Selon Ruth Mottram, les recherches montrent une augmentation de la fréquence et de l'intensité de ces phénomènes, qui transportent chaleur et humidité vers le pôle Sud.
Parallèlement, le puissant courant océanique circumpolaire qui entoure l'Antarctique, et qui a longtemps protégé l'océan Austral d'un réchauffement rapide, montre des signes d'affaiblissement. Des eaux relativement plus chaudes commencent à atteindre la base des plateformes de glace, les faisant fondre par le dessous.
Une comparaison nuancée avec le Groenland
Bien que le terme "groenlandification" soit utile pour illustrer la tendance générale, les scientifiques soulignent des différences importantes entre les deux régions polaires.
Eric Rignot, professeur en sciences du système terrestre à l'Université de Californie à Irvine, explique que si les lois de la physique sont les mêmes, les conditions climatiques diffèrent. Le Groenland se réchauffe deux à trois fois plus vite que la moyenne mondiale, tandis que le réchauffement de l'Antarctique est légèrement inférieur à cette moyenne.
Ces différences de réchauffement ont des impacts distincts sur la circulation atmosphérique :
- Hémisphère Nord : Le réchauffement rapide de l'Arctique a entraîné un ralentissement et une plus grande ondulation du courant-jet, provoquant des conditions météorologiques inhabituelles.
- Hémisphère Sud : Le courant-jet se renforce et se resserre vers le pôle Sud, un comportement opposé.
Malgré ces nuances, l'expérience du Groenland offre un aperçu de ce qui attend les glaciers de l'Antarctique dans un climat plus chaud, avec une fonte de surface accrue et des interactions glace-océan plus intenses.
Un appel urgent à l'action
L'objectif des récentes recherches est de sensibiliser le public et les décideurs au fait que l'Antarctique n'est pas une entité lointaine et isolée. Ce qui se passe au pôle Sud affectera l'ensemble du système climatique mondial.
"Ce n'est pas juste cet endroit lointain où personne ne va et que personne ne comprend", insiste Ruth Mottram. "Nous comprenons en fait beaucoup de ce qui s'y passe. J'espère donc que cela suscitera un sentiment d'urgence pour décarboner."
La conclusion des chercheurs est sans équivoque : la seule solution pour freiner la fonte des glaces polaires et ses conséquences est de réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus massivement et le plus rapidement possible. L'avenir du littoral mondial dépend en grande partie des décisions prises aujourd'hui.





