L'Allemagne, souvent perçue comme un leader de la transition écologique, fait face à une réalité complexe. Malgré des progrès notables dans la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, le pays se heurte à des défis majeurs dans des secteurs clés comme les transports et le bâtiment, remettant en question son image de pionnier environnemental.
Alors que l'économie la plus puissante d'Europe a presque divisé par deux ses émissions depuis 1990, des contradictions politiques et sociales émergentes freinent sa trajectoire vers la neutralité carbone, un objectif fixé pour 2045.
Les points clés
- L'Allemagne a réduit ses émissions de près de 50 % depuis 1990 et vise une baisse de 65 % d'ici 2030.
- Les énergies renouvelables ont représenté 59 % de la production d'électricité du pays en 2023.
- Des secteurs comme les transports et le bâtiment n'atteignent pas leurs objectifs climatiques.
- Le soutien public et politique à l'action climatique s'est affaibli, sur fond de crise économique et de montée de l'extrême droite.
Des progrès indéniables mais une image écornée
Sur le papier, les chiffres allemands en matière de climat sont impressionnants. Le pays a réussi à réduire ses émissions de manière significative depuis la réunification, une performance largement attribuée à la transition de son secteur énergétique. L'année dernière, les sources renouvelables comme l'éolien et le solaire ont fourni près de 60 % de l'électricité consommée.
Cependant, cette réussite masque des difficultés persistantes. La décision de sortir du nucléaire avant de fermer les centrales à charbon a suscité des critiques de la part de nombreux experts en énergie. De même, la culture du recyclage, autrefois exemplaire, a perdu de son éclat alors que la confiance du public dans l'efficacité du système s'est érodée.
Un point de départ favorable
La base de référence de 1990 pour la réduction des émissions est souvent considérée comme avantageuse pour l'Allemagne. La chute de l'industrie lourde en Allemagne de l'Est après la réunification a entraîné une baisse automatique et substantielle des émissions nationales, facilitant l'atteinte des premiers objectifs.
L'activiste climatique Luisa Neubauer, figure du mouvement Fridays for Future, résume ce paradoxe : « Si l'on ignore les émissions, nous avons fait un excellent travail. » Elle souligne que les efforts se sont longtemps concentrés sur des gestes individuels, comme l'achat de sacs réutilisables ou de nourriture biologique, occultant les transformations structurelles nécessaires.
Les secteurs à la traîne
Si l'industrie et la production d'énergie ont progressé, d'autres domaines stagnent. Le secteur des transports reste un problème majeur dans un pays profondément attaché à l'automobile, où les autoroutes n'ont pas de limitation de vitesse générale. L'industrie automobile nationale, fleuron de l'économie, a également pris du retard sur ses concurrents américains et chinois dans la course au véhicule électrique.
Le secteur du bâtiment est une autre source de préoccupation. Les tentatives du gouvernement de remplacer les chaudières à gaz par des alternatives plus propres, comme les pompes à chaleur, se sont heurtées à une opposition farouche, illustrant la difficulté de mettre en œuvre des politiques climatiques qui affectent directement le quotidien des citoyens.
L'Allemagne en chiffres
- PIB par habitant (annuel) : 59 090 $ US (moyenne mondiale : 14 210 $)
- Émissions totales de CO2 en 2023 : 637 millions de tonnes
- Émissions de CO2 par habitant : 7,05 tonnes métriques (moyenne mondiale : 4,7)
Les infrastructures ferroviaires, longtemps négligées, sont un autre symbole de ces contradictions. Le réseau de la Deutsche Bahn souffre d'un sous-investissement chronique, entraînant des retards fréquents et une perte de confiance des usagers, ce qui complique la promotion du train comme alternative à la voiture.
Un climat politique changeant
Le consensus politique en faveur de l'action climatique s'est fragilisé. Après la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine, l'inflation et les préoccupations économiques ont pris le pas sur les questions environnementales pour de nombreux électeurs.
« Je crains vraiment que les plus grosses erreurs soient devant nous, pas derrière nous. La plus grande erreur, de mon point de vue, serait que l'Allemagne devienne un leader dans le démantèlement du Pacte vert européen. »
Ottmar Edenhofer, directeur de l'Institut de Potsdam pour la recherche sur l'impact climatique
Cette évolution se reflète dans le paysage politique. Des partis de centre-droit ont commencé à remettre en cause certaines mesures écologiques, comme la création de pistes cyclables dans les villes. Parallèlement, le parti d'extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), qui progresse dans les sondages, a fait de l'opposition aux politiques climatiques l'un de ses principaux chevaux de bataille, les présentant comme une menace pour l'industrie et le pouvoir d'achat.
Cette dynamique a également des répercussions au niveau européen. Des personnalités politiques allemandes influentes au sein du Parti populaire européen (PPE) œuvrent à affaiblir des pans clés du « Green Deal » européen, notamment la réglementation sur l'interdiction des nouveaux véhicules à moteur thermique prévue pour 2035.
Les défis à venir
Malgré les obstacles, l'Allemagne dispose d'institutions solides pour relever les défis à venir. Une décision de la Cour constitutionnelle a contraint le gouvernement à renforcer sa loi sur le climat, créant un précédent juridique important. Cependant, la réussite de la transition dépendra de la capacité des dirigeants à convaincre la population de la nécessité de réformes profondes et parfois difficiles.
Selon Niklas Höhne, cofondateur du NewClimate Institute, l'Allemagne a un rôle crucial à jouer. « Quelqu'un doit prendre le relais, et le seul acteur qui le peut est l'Union européenne. L'Allemagne pilote l'UE, mais elle la pousse actuellement dans le sens d'une moindre ambition », analyse-t-il.
La transition écologique, comparable à la modernisation du réseau ferroviaire, nécessitera des investissements massifs et provoquera des perturbations. Pour Luisa Neubauer, le succès dépendra de la compréhension collective des raisons de ces efforts. « Si nous ne savons pas pourquoi nous le faisons, nous n'irons pas jusqu'au bout lorsque cela deviendra vraiment difficile, dur et polarisant », prévient-elle. L'avenir de la politique climatique allemande déterminera non seulement sa propre trajectoire vers la neutralité carbone, mais aussi celle de toute l'Europe.





