Le conflit en Ukraine met en lumière une réalité alarmante : les systèmes alimentaires mondiaux sont extrêmement vulnérables. L'invasion russe de 2022 n'a pas seulement dévasté une nation, elle a provoqué une onde de choc qui, combinée aux pressions croissantes du changement climatique, menace la sécurité alimentaire de millions de personnes à travers le globe.
Des terres agricoles minées en Ukraine à la flambée des prix dans les supermarchés égyptiens, les conséquences des conflits armés modernes se propagent bien au-delà des lignes de front, révélant les failles d'un système interconnecté mais fragile.
Points Clés
- Le conflit en Ukraine a paralysé les exportations d'un producteur agricole majeur, affectant l'approvisionnement mondial.
- Les guerres entraînent une hausse des prix alimentaires, pénalisant particulièrement les pays dépendants des importations.
- La contamination des terres par les mines et la destruction des infrastructures agricoles créent des obstacles à long terme.
- L'impact environnemental des activités militaires aggrave les défis posés par le changement climatique.
L'Ukraine, un grenier du monde en suspens
Avant l'invasion de février 2022, l'Ukraine était l'un des piliers de la sécurité alimentaire mondiale. Avec 32 millions d'hectares de terres arables, le pays contribuait à nourrir environ 400 millions de personnes sur la planète. Ses exportations représentaient plus de 10 % du blé mondial.
L'agression russe a brutalement interrompu ce flux vital. Le blocage des ports de la mer Noire, la destruction des infrastructures et l'occupation des terres ont jeté le système dans le chaos, déclenchant une crise alimentaire mondiale. En Ukraine même, la situation est devenue critique. Selon les agences humanitaires, environ 5 millions de personnes, soit près de 15 % de la population, ont désormais besoin d'une aide alimentaire.
« On suppose que parce que c'est un grand pays agricole, les gens n'ont pas faim », a expliqué Richard Ragan, directeur du Programme Alimentaire Mondial (PAM) des Nations Unies en Ukraine. « Mais les gens ici ont besoin de nourriture, ils ont besoin d'espoir et qu'on leur rappelle que quelqu'un se soucie d'eux. »
L'aide humanitaire, menée par des organisations comme le PAM, est devenue une bouée de sauvetage. Elle va au-delà de la simple distribution de denrées non périssables, en soutenant les boulangeries locales, en finançant des opérations de déminage et en fournissant des outils pour relancer la production agricole.
Une onde de choc sur les marchés mondiaux
Aucun conflit ne se déroule en vase clos. L'histoire montre que les guerres ont toujours eu des répercussions économiques durables, notamment sur les produits alimentaires. La guerre Iran-Irak a amorcé le déclin de l'industrie de la datte en Irak, tandis que la guerre du Vietnam a perturbé la production de riz dans le delta du Mékong.
Le conflit ukrainien a rendu ces liens indéniables. « Le début de la guerre entre la Russie et l'Ukraine a affecté les prix alimentaires partout dans le monde », affirme Dr. Sonja Vermeulen, directrice des programmes chez CGIAR, un centre de recherche mondial. Elle souligne que les pays les plus touchés sont ceux qui dépendent des importations.
Le cas de l'Égypte
L'Égypte est un exemple frappant. Le pays importait autrefois les trois quarts de son blé de Russie et d'Ukraine. Après le début de la guerre, le gouvernement a dû chercher de nouveaux fournisseurs en urgence. Entre 2023 et 2024, l'inflation des prix alimentaires a atteint entre 60 % et 70 %. En 2025, le prix du pain subventionné, dont dépendent deux tiers des ménages, a quadruplé.
Cette situation illustre comment un conflit local peut exacerber les pressions existantes liées au climat et à l'approvisionnement, frappant le plus durement les populations déjà vulnérables. Même le PAM, qui fournit une aide d'urgence, s'approvisionne en grande partie en Ukraine. Depuis 2022, l'organisation a exporté plus d'un million de tonnes de céréales ukrainiennes pour ses opérations humanitaires mondiales.
La terre comme champ de bataille
L'alimentation est devenue une arme silencieuse mais puissante dans les conflits modernes. En Ukraine, la stratégie russe consiste à paralyser la capacité agricole du pays. Les ports sont bloqués, les silos à grains détruits et, surtout, les terres agricoles sont massivement minées.
Yurii et Valerii Leshko, deux frères agriculteurs de la région de Dovhenke, ont vu leurs champs et leur matériel incendiés. « C'est notre vie, nous sommes nés ici », raconte Valerii. Après la libération de leur village, ils ont retrouvé leurs terres truffées d'engins explosifs. Ils ont commencé à déminer eux-mêmes avant l'arrivée des équipes spécialisées.
Le pays le plus miné au monde
L'Ukraine est aujourd'hui le pays le plus contaminé par les mines au monde. Environ un quart de son territoire est jonché d'explosifs. Une mine peut coûter seulement 3 dollars à produire, mais son retrait sécurisé peut coûter jusqu'à 1 000 dollars, ce qui en fait une arme redoutablement efficace contre la sécurité alimentaire.
Cette contamination bloque les semis, rend la livraison de l'aide périlleuse et laisse des cicatrices durables sur les terres. C'est une tactique délibérée pour neutraliser l'un des atouts économiques les plus importants de l'Ukraine et déstabiliser les marchés mondiaux.
L'impact environnemental durable de la guerre
Les conflits armés ne détruisent pas seulement des vies et des infrastructures ; ils dégradent profondément l'environnement, aggravant la crise climatique. Selon les estimations du Conflict and Environment Observatory, les armées et leurs chaînes d'approvisionnement seraient responsables d'environ 5,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
En Ukraine, les conséquences environnementales sont déjà visibles. Volodymyr Bugai, un agriculteur de la région de Mykolaïv, a constaté que des parcelles entières de ses terres ne produisaient plus rien après avoir été bombardées. La situation a été aggravée par la destruction du barrage de Kakhovka en 2023.
Cet événement a perturbé le microclimat local qui soutenait les récoltes. « Le vent qui souffle du désert d'Olechky n'est plus refroidi par la mer de Kakhovka », explique-t-il. Si sa première récolte a été sauvée par l'humidité résiduelle du sol, la suivante a été trois fois inférieure. L'armement moderne laisse aussi une empreinte durable. Des milliers de drones sont déployés chaque mois, laissant derrière eux des kilomètres de plastique et de câbles en fibre optique.
Construire la résilience pour l'avenir
Face à cette double crise, les experts appellent à une refonte du système alimentaire mondial. Selon Tim Lang, professeur émérite en politique alimentaire, il est simpliste de dire que le système est « brisé ». Il est plutôt « dysfonctionnel », produisant à la fois l'abondance et la faim, avec plus de 319 millions de personnes en situation d'insécurité alimentaire.
Assurer la sécurité alimentaire future nécessitera des changements profonds. Les solutions proposées incluent :
- La réforme des subventions agricoles.
- La création de réserves céréalières régionales.
- L'augmentation du financement climatique pour les pays importateurs.
- La diversification des sources d'approvisionnement.
Dr. Vermeulen préconise une approche équilibrée, combinant une plus grande autonomie agricole locale et une diversification des importations mondiales. Cette stratégie permettrait d'amortir les chocs, qu'ils soient climatiques ou géopolitiques.
En fin de compte, la protection des systèmes naturels de la planète est intrinsèquement liée à notre propre sécurité. Comme le souligne Dr. Vermeulen, « il est rentable de maintenir les systèmes terrestres qui soutiennent la santé humaine ». Dans un monde de plus en plus instable, préserver l'environnement pourrait être le fondement le plus solide pour la paix.





