Des chercheurs de l'Institut de Chimie Durable de Lausanne (ICDL) ont annoncé le développement d'un nouveau matériau solvant capable de capter le dioxyde de carbone (CO2) avec une efficacité et une stabilité sans précédent. Cette avancée pourrait réduire considérablement les coûts énergétiques associés aux technologies actuelles de captage du carbone, un enjeu majeur dans la lutte contre le changement climatique.
Le nouveau procédé, détaillé dans la revue scientifique Catalysis Science & Technology, utilise un solvant à base d'amines qui nécessite 30 % d'énergie en moins pour sa régénération par rapport aux solutions conventionnelles. Cette innovation ouvre la voie à une application à plus grande échelle dans les industries lourdes comme les cimenteries et les centrales électriques.
Points Clés
- Une équipe de recherche suisse a mis au point un nouveau solvant pour le captage du CO2.
- La technologie promet une réduction de 30 % des besoins énergétiques pour la régénération du solvant.
- Le matériau présente une stabilité accrue, réduisant la dégradation et les coûts de maintenance.
- Cette avancée pourrait rendre le captage du carbone économiquement viable pour les industries à fortes émissions.
Un défi énergétique surmonté
Le captage et le stockage du carbone (CSC) sont considérés comme des outils essentiels pour atteindre les objectifs de neutralité carbone. Cependant, leur déploiement à grande échelle a été freiné par des coûts énergétiques élevés, principalement liés à la séparation du CO2 du solvant utilisé pour le capturer.
Les méthodes traditionnelles, qui utilisent des solvants comme la monoéthanolamine (MEA), exigent une grande quantité de chaleur pour libérer le CO2 capturé. Ce processus, appelé régénération, peut consommer jusqu'à 25 % de l'énergie produite par une centrale électrique, rendant la technologie économiquement peu attractive.
La solution de l'ICDL
L'équipe de l'ICDL, dirigée par la Dr. Hélène Dubois, a développé un solvant hybride qui modifie la structure moléculaire des amines pour réduire l'énergie nécessaire à la rupture de la liaison avec le CO2. Le nouveau composé, nommé ICDL-S4, montre une capacité d'absorption élevée tout en nécessitant une température de régénération plus basse.
"Notre objectif était de repenser la chimie fondamentale du processus. Nous avons découvert qu'en introduisant un groupe fonctionnel spécifique, nous pouvions affaiblir la liaison CO2-amine juste assez pour faciliter sa libération sans compromettre l'efficacité de la capture", explique la Dr. Dubois.
Les tests en laboratoire ont confirmé que le solvant ICDL-S4 peut être régénéré à des températures avoisinant les 90°C, contre 120-140°C pour les solvants MEA standards. Cette différence se traduit par une économie d'énergie directe d'environ 30 %.
Stabilité et durabilité améliorées
Un autre problème majeur des solvants traditionnels est leur dégradation rapide en présence d'oxygène et d'autres impuretés présentes dans les gaz industriels. Cette dégradation réduit non seulement l'efficacité du solvant, mais produit également des sous-produits corrosifs et potentiellement nocifs.
Le saviez-vous ?
Selon l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE), pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, les capacités mondiales de captage du carbone devront être multipliées par près de 100 par rapport aux niveaux actuels. L'innovation technologique est donc cruciale.
Le solvant ICDL-S4 a démontré une résistance à la dégradation oxydative nettement supérieure. Après 1 000 heures de tests en conditions simulées, le solvant a conservé plus de 98 % de son efficacité initiale, alors que la MEA en perdait près de 15 % dans les mêmes conditions.
Cette durabilité accrue signifie des cycles de vie plus longs pour le solvant, ce qui réduit les coûts opérationnels et la nécessité de remplacer fréquemment le produit chimique. Cela diminue également l'impact environnemental global du processus de captage.
Les implications pour l'industrie
L'annonce de cette découverte a suscité un vif intérêt dans les secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre. Les cimenteries, les aciéries et les centrales thermiques sont des candidats idéaux pour l'application de cette nouvelle technologie.
Contexte : Le captage du carbone aujourd'hui
Actuellement, il existe une trentaine d'installations de CSC à grande échelle en service dans le monde, capturant environ 40 millions de tonnes de CO2 par an. Cependant, pour avoir un impact significatif sur le climat, les experts estiment qu'il faudrait capturer des milliards de tonnes chaque année. Le coût et l'efficacité énergétique sont les principaux obstacles à ce déploiement massif.
Une feuille de route vers la commercialisation
L'ICDL a déjà entamé des discussions avec des partenaires industriels pour construire une usine pilote. L'objectif est de tester le solvant ICDL-S4 dans des conditions réelles d'ici 24 mois.
Selon le Dr. Marc Lefebvre, chef du projet de valorisation technologique à l'ICDL, le passage à l'échelle industrielle est la prochaine étape cruciale.
"Les résultats en laboratoire sont extrêmement prometteurs, mais la véritable épreuve sera de maintenir ces performances dans un environnement industriel complexe. Nous sommes confiants que notre technologie peut relever ce défi et rendre le CSC économiquement viable", a-t-il déclaré.
Si les essais pilotes sont concluants, la technologie pourrait être disponible pour une licence commerciale d'ici cinq à sept ans. Cela pourrait accélérer la décarbonation de secteurs où la réduction des émissions est particulièrement difficile.
Un impact potentiel sur les objectifs climatiques
L'amélioration de l'efficacité du captage du carbone est une pièce importante du puzzle climatique. En rendant cette technologie plus abordable, elle devient une option plus réaliste pour les gouvernements et les entreprises qui cherchent à respecter leurs engagements climatiques.
Les experts soulignent que le CSC ne doit pas être considéré comme une solution miracle, mais plutôt comme un complément indispensable aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique. Il est particulièrement pertinent pour les "émissions incompressibles" de certains processus industriels, comme la production de ciment, où le CO2 est libéré par une réaction chimique et non seulement par la combustion d'énergie.
Cette avancée de l'Institut de Chimie Durable de Lausanne représente donc une étape significative, offrant un outil plus performant et plus économique pour gérer les émissions de CO2 et progresser vers un avenir à faible teneur en carbone.





