L'industrie sidérurgique canadienne, confrontée à des pressions économiques intenses et à des impératifs climatiques, accélère sa transition vers des méthodes de production à faibles émissions de carbone. Des entreprises comme Algoma Steel et ArcelorMittal Dofasco investissent des milliards de dollars dans de nouvelles technologies pour réduire leur empreinte environnementale, soutenues par d'importants financements gouvernementaux.
Cette transformation est motivée par une combinaison de tarifs douaniers américains, de la surproduction mondiale d'acier et de la nécessité de décarboner l'un des secteurs les plus polluants du pays.
Points Clés
- L'industrie sidérurgique canadienne est responsable d'environ 2 % des émissions nationales de gaz à effet de serre.
- Les producteurs d'acier comme Algoma se tournent vers les fours à arc électrique (EAF) pour recycler la ferraille et réduire les émissions jusqu'à 70 %.
- ArcelorMittal Dofasco investit dans la technologie de réduction directe du fer (DRI), prévoyant d'utiliser de l'hydrogène vert à long terme.
- Les gouvernements fédéral et provincial ont engagé 2 milliards de dollars pour soutenir cette transition en Ontario.
Un secteur sous pression économique et environnementale
L'industrie sidérurgique canadienne traverse une période difficile. Les producteurs sont confrontés à des tarifs douaniers américains de 50 % depuis juin, ce qui pèse lourdement sur leur rentabilité. À cela s'ajoute une surabondance d'acier sur le marché mondial, principalement attribuée à la Chine, qui maintient les prix à un bas niveau.
Dans ce contexte, Algoma Steel a annoncé que les conditions actuelles rendaient l'exploitation de son haut fourneau et de sa cokerie économiquement insoutenable. L'entreprise a déclaré qu'elle accélérait sa transition vers la production d'acier par voie électrique, une décision facilitée par l'obtention de 500 millions de dollars de prêts gouvernementaux.
L'empreinte carbone de l'acier
À l'échelle mondiale, la production d'acier est à l'origine de 7 à 9 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Au Canada, le secteur a généré 13,1 mégatonnes de CO2 en 2023, soit l'équivalent des émissions de près de trois millions de voitures à essence.
L'Ontario est le cœur de l'industrie sidérurgique canadienne. Les trois plus grands émetteurs industriels de la province sont des aciéries. Ensemble, elles représentent 40 % des émissions industrielles de gaz à effet de serre de l'Ontario, surpassant les secteurs du raffinage, de la foresterie, des mines et de la chimie combinés.
La voie électrique : le choix d'Algoma Steel
Pour décarboner ses activités, Algoma Steel a choisi d'abandonner complètement la production primaire à partir de minerai de fer. L'entreprise de Sault Ste. Marie est en train de fermer son haut fourneau et sa cokerie, les éléments les plus polluants du processus traditionnel.
À la place, Algoma se concentre sur la sidérurgie "secondaire" en utilisant des fours à arc électrique (EAF). Cette technologie permet de recycler de la ferraille d'acier ou d'utiliser du fer préréduit. Le métal est fondu à très haute température grâce à un arc électrique, un processus qui peut être alimenté par de l'électricité propre, sans recourir aux combustibles fossiles.
Des résultats prometteurs
En juillet dernier, Algoma a annoncé avoir produit son premier acier avec cette nouvelle méthode. Selon le PDG Michael Garcia, ce changement devrait permettre de réduire les émissions de carbone de l'usine jusqu'à 70 %.
"Cette transition nous permettra également d'augmenter notre capacité de production d'un tiers", a déclaré Michael Garcia. Il a toutefois précisé que ce nouveau procédé nécessitait moins de main-d'œuvre que l'exploitation traditionnelle du haut fourneau.
Le coût final du projet EAF est estimé à 987 millions de dollars. Bien que la technologie EAF existe depuis les années 1960, elle a considérablement évolué. Initialement limitée à la production d'acier de faible qualité, elle peut aujourd'hui fabriquer presque toutes les nuances d'acier. Aux États-Unis, 70 % de l'acier est déjà produit de cette manière.
Les limites du recyclage
La production d'acier par voie secondaire est limitée par la disponibilité de matières premières de qualité, comme la ferraille. De plus, tous les clients ne peuvent pas utiliser des produits fabriqués exclusivement à partir d'acier recyclé, notamment pour des applications nécessitant un acier extrêmement pur.
L'hydrogène : l'avenir de la production primaire
Puisque le recyclage ne peut pas répondre à toute la demande mondiale, une autre solution est développée pour décarboner la production d'acier primaire : remplacer le charbon et le coke par de l'hydrogène.
Ce procédé, appelé réduction directe du fer (DRI), utilise l'hydrogène pour réagir chimiquement avec le minerai de fer et produire du fer pur, sans les émissions de CO2 du charbon. Cette technologie a déjà fait ses preuves en Europe, où des milliers de tonnes de fer ont été produites de cette manière depuis 2021.
Le projet d'ArcelorMittal Dofasco
C'est la voie choisie par ArcelorMittal Dofasco pour son usine de Hamilton. Le projet, d'un coût de 1,8 milliard de dollars, est financé à moitié par les gouvernements fédéral et provincial. L'objectif est de remplacer la cokerie par une usine de DRI et de nouveaux fours à arc électrique.
Selon Mohd Adnan Khan, chercheur à l'Université de l'Alberta, l'usine utilisera initialement du gaz naturel, car l'approvisionnement en hydrogène vert abordable est encore un défi. Cependant, l'installation est conçue pour être "prête pour l'hydrogène".
"Une fois que les conditions économiques seront réunies, l'usine pourra passer à 100 % d'hydrogène", explique M. Khan. Cette transition progressive permettra de réduire les émissions de 60 %, soit trois millions de tonnes par an, d'ici 2028. Cela équivaut à retirer 725 000 voitures de la circulation.
Cependant, le projet a connu des retards. En août 2024, la cokerie était toujours en service et l'approvisionnement en gaz naturel nécessaire n'avait pas encore été approuvé.
Le rôle crucial du soutien gouvernemental
La transition de l'industrie sidérurgique ne serait pas possible sans un soutien politique et financier fort. Selon Ross Linden-Fraser de l'Institut climatique du Canada, plusieurs mesures clés ont été mises en place.
"La tarification du carbone industrielle a créé une incitation économique pour que ces projets d'acier vert voient le jour", affirme-t-il. En plus des subventions directes, le gouvernement fédéral a également agi sur la demande.
Cette année, le gouvernement a mis à jour ses normes d'approvisionnement écologique pour les projets de construction afin de privilégier l'acier produit avec de faibles émissions. Étant le plus grand acheteur de biens et services au Canada, cette décision crée un marché important pour l'acier vert.
"Il semble assez clair que l'avenir de l'acier compétitif est vert", conclut M. Linden-Fraser. "Il est donc très important de mettre en place des politiques qui maintiennent l'industrie orientée vers cet objectif à long terme."
Pendant ce temps, la troisième grande aciérie de l'Ontario, exploitée par Stelco, n'a pas encore annoncé de stratégie de décarbonation claire, illustrant que le chemin vers une sidérurgie entièrement verte est encore long.





